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l’assemblée de parens qui avait confié l’administration des biens et de la personne de Jean-Paul à la douairière de Cabris. Mais le pire fut que, peu de jours avant le prononcé de cet arrêt, Louise fut arrachée du lit conjugal et des bras de sa fille par la maréchaussée, en vertu d’une lettre de cachet, et conduite sous escorte au couvent des Ursulines de Sisteron. En apparence, c’était le mémoire de son oncle, remis en circulation et signé par tous les parens intéressés à sa détention, qui avait décidé les ministres à la frapper. Mais dans le vrai, l’Ami des Hommes, tout en ne s’associant pas en nom à cette plainte, l’avait à lui seul fait aboutir, en tirant habilement parti auprès de ses bons amis, les ministres Maure pas et Amelot, île la lettre incestueuse de son fils. Ceci avait levé tous les obstacles.

L’ordre du Roi s’exécuta le 24 février 1778, au petit jour. Louise ne devait recouvrer sa liberté que plus de trois ans après. Elle ne se résigna pas un seul moment à cette captivité outrageante et imméritée. Mais ses plaidoyers furent d’abord étouffés par le silence concerté des ministres. Puis les mois s’écoulant, ses partisans, étonnés de son impuissance à se justifier, ajoutèrent foi plus volontiers à la version du bailli et de la famille de M. de Cabris, d’après laquelle Louise était punie pour des crimes dont il valait mieux pour elle-même qu’on ne parlât point. Mais on en parlait, bien entendu, sous le sceau du secret, à tous les bavards qui prenaient ensuite le public pour confident.

Les griefs ouvertement allégués contre Mme de Cabris par ses deux familles auraient assez bien justifié sa détention s’ils avaient été tous fondés. Mais elle on pouvait sans peine détruire les uns, affaiblir les autres. On lui reprochait notamment d’avoir dilapidé la fortune de son mari, provoqué le double scandale des affiches diffamatoires et de l’agression du baron de Villeneuve-Mouans, couru les grands chemins avec un amant, engagé son frère à une mésalliance, et participé au rapt de Sophie après avoir recelé l’argent et les effets soustraits au marquis de Monnier. Elle n’en avait pas tant sur la conscience. Et c’était pour prévenir l’effet de ses dénégations et de ses preuves, qu’on donnait crédit, à voix basse, à la fable de ses relations criminelles avec Mirabeau. De ceci, Louise ne pouvait se défendre ni même parler, puisqu’elle n’eût trouvé personne pour lui opposer franchement cette accusation, pour l’articuler par