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conséquence, Mirabeau n’opposa aux sommations de Pylade que de vagues et doucereuses dénégations, en affectant d’être bien tranquille et de ne pas comprendre de quoi on lui parlait. Mais la marquise de Mirabeau reprit la querelle à son compte. Elle jetait feu et flamme contre ce fils dénaturé. Elle le somma à son tour de s’expliquer sans ambages. Or, depuis qu’en enlevant Sophie, il s’était barré toute perspective de fortune du côté de son père et de sa femme, Mirabeau avait dû recourir au crédit de sa mère et la flagorner en toute occasion, de manière à capter sa confiance en attendant son héritage. Quand elle ordonnait de ce ton, il fallait au moins avoir l’air de lui obéir. Mais Mirabeau pouvait-il faire autre chose que lui répéter ses dénégations à Pylade ? Il les lui paraphrasa dans une lettre du 4 novembre 1776, datée d’Amsterdam, dont voici l’important pour nous :


Je viens, ma très chère mère, de recevoir votre lettre du 24 octobre… Quel crime ai-je donc commis depuis quinze jours qui change votre style au point de vous empêcher de m’appeler votre fils et de faire sortir de votre plume ces mots : Je ne saurais ni vous estimer ni vous aimer… Je punirai le coupable quand il suivra sa tête[1]… Je le connais, mon crime. M. de Briançon est arrivé à Paris. J’ai répondu à son étrange lettre, je le devais à la profonde amitié que j’ai pour lui. Tout autre qui n’eût pas eu sur moi les mêmes droits n’eût pas dû s’attendre que je pusse entrer en discussion d’imputations évidemment fausses, calomnieuses, énoncées du ton le plus insultant. Daignez la lire, cette lettre ; elle renferme la justification d’après laquelle vous ne ferez que suspendre l’opinion que vous avez de mon âme. J’ai répondu au sujet des lettres prétendument écrites à Mme de Monnier que je défiais qu’on les montrât (cela est court, et sans autre réplique que celle de me convaincre de mensonge par les lettres originales), qu’on devrait me faire l’honneur de ne pas me croire assez imbécile pour être la dupe des copies de lettres remises administre. Quand ce fait serait vrai, je défie pour la millième fois une âme vivante de montrer écrites de ma main des choses que je n’écrivis jamais. Toutes les déclamations relatives à cet objet ne m’affecteraient donc pas le moins du monde, parce que je ne puis croire qu’on s’irrite si fort sans preuves de choses si peu vraisemblables, si je ne voyais qu’on vous a persuadé tout ce qu’on a voulu, qu’on a surpris votre religion au point de vous engager à m’imposer des conditions inacceptables, pour dire sans doute après : « Il ne veut faire qu’à sa tête ; abandonnez-le, il le mérite. » Pour finir ce qui concerne ma sœur, j’ajouterai ici que j’offre de faire des sommations légales à Mme de Ruffey d’avoir à se rétracter et faire réparation, ou fournir mes prétendues lettres originales. J’aurais déjà fait cette démarche si je n’avais cru devoir vous la soumettre. Voilà ce que je puis dire à cet égard…

  1. C’est-à-dire, on le comprend, quand il en irait de sa tête.