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l’assujettirait et la condamnerait à vivre d’expédiens ! Non, non, si elle ne pouvait empêcher deux insensés de courir pareille aventure, au moins n’en partagerait-elle pas les risques. Mais elle était assez tranquille sur cet article : Mirabeau, bien proche et bien averti, n’était pas si fol que de retourner de lui-même à l’abîme dont elle l’avait écarté. Il n’y avait plus de danger pour lui que dans les recherches des limiers du marquis de Mirabeau, les sieurs Muron et de Bruguières ? mis sur sa trace par l’indiscrétion du pauvre Saint-Jean. Or, Briançon veillait sur place ; il saurait bien les dérouter.

Il les dérouta vraiment, malgré leur déguisement en négocians voyageurs. Mirabeau eut le temps de changer de retraite. Il passa de la maison de ville de ses hôtes dans leur bastide voisine de Lorgues. Muron et de Bruguières crurent qu’il avait gagné Gênes pour de là se rendre en Angleterre sur quelque vaisseau marchand. Ils hésitaient à courir après lui, lorsqu’un affidé de Sophie et de Mirabeau, qui fuyait une lettre de cachet, s’en vint juste à point traverser leur piste. On leur fit de cet aventurier un signalement qui correspondait si bien à celui de leur gibier qu’ils prirent le change et se lancèrent à sa poursuite. Ils apprirent bientôt que l’homme s’était embarqué à Villefranche à destination de l’Angleterre : cela concordait de mieux en mieux ; mais il leur était défendu de continuer leur chasse sur les mers, et ils rebroussèrent chemin pour regagner Lyon, avouant leur échec et n’espérant plus grand’chose que d’une étroite surveillance des entours de Mme de Cabris. Un arrêt de trois jours qu’ils firent à Aix pour se reposer permit à Briançon de les devancer et de préparer Louise à leur réapparition. La sécurité de Mirabeau était complète, pour quelque temps au moins. Toutefois en le laissant seul à Lorgues, Briançon avait eu la précaution de lui demander sa parole de ne pas bouger et de ne rien entreprendre qu’au su et avec l’assentiment de sa sœur. Mirabeau lui donna cette parole en toute bonne foi, peut-on croire. Sa correspondance avec Sophie prouve que celle-ci ne s’attendait pas à le revoir avant le milieu de septembre au plus tôt, et non pas à Pontarlier, qu’elle était sur le point de quitter avec son mari, mais à Nans-sous-Sainte-Anne, bourg dont le marquis de Monnier était seigneur, et où il avait décidé de prendre ses vacances comme d’habitude.

Un projet antérieur de rassemblement à Lyon, aux environs