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pense-t-il. Il revient à la serre : une fois encore on l’en écarte sous je ne sais quel mauvais prétexte. Cette fois il a compris.

J’ai beau raisonner le pacha ; le sourire sceptique avec lequel il accueille mes explications prouve qu’il garde sa conviction inébranlable : des scènes de débauche se passent dans les soirées du ministère, et, par une pudeur facile à comprendre, on a voulu les lui cacher.

Passons chez un ancien ministre, que je ne nommerai pas en raison des détails que je donnerai à son sujet. Appelons-le Ahmed. C’est un homme de quarante ans à la physionomie ouverte, au regard vif et intelligent. Chargé jadis de négocier en Europe un emprunt de 60 millions, il en prit, dit-on, 20 à titre de commission, et, même au Maroc, ce chiffre parut exagéré.

Pour le moment, il est rentré dans la vie privée.

Ahmed passe pour un homme très vertueux parce que chaque année il se joint au pèlerinage de la Mecque. Arrivé en Asie Mineure, il interrompt son pieux voyage pour se rendre à Constantinople et surtout à Brousse d’où il ramène de jolies Circassiennes achetées très cher. Il s’est ainsi constitué une ravissante collection de jolies femmes, qu’il m’a été donné d’admirer. Invité à déjeuner chez lui, j’étais reçu par mon hôte sur le seuil de sa porte. Trois coups de marteau très espacés annonçaient au personnel féminin qu’il fallait disparaître. On laisse aux femmes le temps matériel nécessaire pour s’éclipser, et nous entrons : toutes sont restées en rangs serrés dans la cour entourée de colonnades et, après s’être laissé voir, se sauvent en prenant des airs mutins.

Ahmed, lui aussi, connaît Paris. Il y est venu avec douze de ses femmes et une suite nombreuse d’esclaves et de cuisiniers. Il avait loué un hôtel rue des Mathurins et personne ne se douta de la présence de ce harem bien authentique au milieu de Paris. Ahmed comprend bien qu’en France, et à Paris surtout, il est en présence d’une activité servie par une organisation matérielle extraordinaire. Mais il n’essaie pas d’en pénétrer les secrets. Vêtu en Roumi, portant avec aisance l’habit, il visite nos théâtres et les cabarets de Montmartre, puis repart sans avoir appris davantage.

Moulay-Ali, chériff d’Ouazzan, n’a pas l’extérieur austère qu’on s’attendrait à trouver chez un saint de l’Islam, un descendant