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en abondance, du bétail, quelques burnous, des tapis et tous les articles d’épicerie.

L’inspection de ce marché, ainsi que celle du Sok-el-Arba, marché du mercredi, du Sok-el-Jemis, marché du jeudi, font ressortir l’abondance de numéraire l’aisance des habitans. Quand d’autre part on les observe, on constate qu’ils limitent leur travail de manière à équilibrer à peu près leurs recettes et leurs dépenses. Ils pourraient produire davantage, mais que feraient-ils de l’argent disponible ? Ils ignorent les placemens, et savent que les trésors enterrés attirent les brigands. La propriété n’étant pas protégée, personne n’a le sens de l’épargne.

On ne trouve pas de pauvres à Asanen, mais on n’y rencontre pas non plus de riches. Or les ressources locales permettraient la constitution assez rapide de fortunes parfois considérables et ces capitaux indigènes faciliteraient la transformation de la région. De même dans les villes : Tetouan, Tanger, Salé, Rabat, on y rencontre deux catégories d’ouvriers. D’abord des immigrés, venus pour travailler pendant deux ou trois ans et amasser le petit capital nécessaire pour s’établir dans leur pays d’origine. Ils adoptent les professions faciles, qui ne nécessitent aucun apprentissage compliqué ; tels sont les porteurs d’eau, presque tous originaires du Draa, les portefaix venus du Sous ou des environs de Marrakesch, les gardiens de magasin qui sont souvent des Bérabers du Tafilelt. Les boutiques n’étant pas attenantes en général à la maison d’habitation du commerçant, celui-ci paye un gardien qui chaque soir couche en travers de la porte et reprend sa liberté le matin. L’Espagne a une institution analogue, les veilleurs de nuit, les sérénos. L’ouvrier professionnel est charron, menuisier, corroyeur, batelier ; il est presque toujours marié. Dans ces petits ménages il n’y a qu’une femme, elle sert de ménagère, garde la maison, entretient les vêtemens, prépare les repas. Sa condition ressemble beaucoup à celle des femmes de nos ouvriers.

Les commerçans marocains obéissent aux mêmes règles professionnelles que les commerçans européens. Ils sont assistés par leur femme qui souvent, — j’ai vu le cas à Rabat, — sait prendre une décision importante en l’absence de son mari. Ce rôle joué par la femme est difficilement compatible avec la polygamie ; aussi les petits négocians sont-ils généralement