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du repas. Mon hôte s’assied alors et mange après nous. Quand il a fini, c’est le tour de ses fils et des hôtes venus par un hasard facile à expliquer : ils savaient qu’une diffa avait lieu et ils sont arrivés à propos. Quand ils ont mangé, on passe les os à demi dépouillés aux femmes, puis… c’est le tour des chiens. Nous recommençons à prendre du thé : Kaddor, un réfugié d’une tribu lointaine, est venu, à la suite d’un assassinat commis par lui, demander protection à mes hôtes. C’est lui qui prépare le thé. Il raconte le drame à la suite duquel il a dû fuir la vengeance d’une famille. Chacun fait ensuite le récit peu édifiant de ses hauts faits. Mes hôtes sont évidemment des gens paisibles en principe, mais dans le bled, comme en Europe, l’occasion fait le larron. Je suis au milieu de gens qui, possédant des terres, de l’argent, du bétail, ont, — en dépit de leurs méfaits, — un peu plus de respect que les nomades de Figuig, pour le bien d’autrui.

Si par une police bien faite et en moralisant un peu ces Zaërs, qui ne sont pas inaccessibles aux bons sentimens, on essayait de les transformer en villageois paisibles, on arriverait sûrement à un résultat satisfaisant.

Il faudrait d’abord leur donner une autre notion du travail et de sa répartition, leur apprendre que l’homme n’est pas un guerrier toujours aux aguets pour attaquer ou se défendre, mais que son intelligence et ses bras sont un capital dédaigné à tort chez les nomades.

Les femmes, traitées comme de véritables bêtes de somme, sont soumises à un labeur écrasant et ne sont même pas épargnées quand les infirmités de leur sexe ou la maternité les affaiblissent : c’est pourquoi elles vieillissent de bonne heure et meurent relativement jeunes, tandis que les hommes conservent jusqu’à un âge parfois très avancé la souplesse, la vigueur et les prérogatives de la jeunesse.

Absorbées par une besogne matérielle au-dessus de leurs forces, les femmes n’ont ni le temps, ni l’instruction très sommaire nécessaires pour élever leurs enfans. Ceux-ci sont abandonnés à leurs instincts bons et mauvais, sans qu’aucun enseignement moral leur apprenne à discerner le bien du mal.

Le spectacle des grandes personnes dans un groupe de tentes, où nul ne peut avoir le moindre secret intime, est très démoralisant pour eux.