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rapport entre la gravité du caractère et celle de l’esprit ; et que, par conséquent, il faut des académies pour satisfaire la vanité des écrivains qui en devraient être le plus exempts.

Taine n’est pas tout à fait d’accord avec Gaston sur la philosophie de mon poème ; et j’ai discuté là-dessus avec lui hier : il ne m’a pas convaincu. Dans la première partie, je fais dire au chercheur qu’il n’y a pas d’action désintéressée, que si l’on va au fond des plus hauts instincts, tels que l’amour maternel, on trouve que la nature, pour arriver à assurer la conservation de l’enfant, n’a pas compté sur le dévouement pur, et qu’elle a trouvé plus sûr de faire de l’enfant une extension du moi de la mère, afin que celle-ci s’aimât en l’aimant ; en un mot, la nature n’exige pas d’action méritoire pour obtenir les résultats nécessaires au salut de l’espèce ; elle trouve bien plus sûr d’intéresser indirectement l’individu au bien d’autrui, et ainsi l’égoïsme et ses dérivés président à toute l’économie de l’espèce. Alors la Voix se récrie et prétend qu’il y a des dévouemens purs. Taine soutient que le désintéressement consiste à vouloir le bien d’autrui quand même on y trouve un intérêt. Moi, je prétends que le motif d’action, dès qu’il est conçu par l’agent comme un intérêt personnel, l’action dût-elle profiter à autrui, l’empêche d’être désintéressée.

L’impuissance de la raison à donner toute l’explication des phénomènes moraux fait le sujet même de mon poème ; il faut que les affirmations du cœur, c’est-à-dire de la conscience, viennent compléter les conditions posées par la raison. Je défie la raison de prouver qu’il existe des droits et des devoirs. Toute la philosophie antique et la moderne y ont échoué, et cependant personne de bonne foi ne soutient que les actions sont indifférentes. Taine, devant ces grands problèmes, a pris le parti d’en nier la difficulté, même de les supprimer. C’est ainsi qu’il s’imagine avoir défini le beau, quand il a donné les conditions sans lesquelles il n’y a pas de beauté. La belle affaire ! Je sais bien que je ne sens pas le beau quand il n’y a pas ordre, unité dans la variété, observation des lois du type, etc., mais tout cela n’est pas le beau, c’en est la condition ; un artiste qui suit ces règles-là fait fort bien, mais il n’a qu’édifié la charpente de son œuvre qui sera belle par l’addition d’un rien qui est tout ; si l’on change la ligne d’une bouche d’un dixième de millimètre, elle cosse d’être belle. Quoique toutes les lois de l’anatomie et de la