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la raison, bien qu’ils indignent le cœur. La science plie toutes les volontés sous le joug impersonnel, et nullement humiliant, de la Vérité. Les caractères s’en ressentiront aussi, de plus en plus favorablement ; car l’orgueil du savant est le moins dangereux de tous : ou la vérité découverte le justifie, ou l’erreur reconnue l’anéantit. Je ne puis m’étendre sur cette vue, je vous signale seulement les conséquences morales, vraiment poétiques, du développement scientifique, dont le terme suprême en est la concorde.

Il faut convenir qu’on pourra faire de beaux poèmes là-dessus. Mais le plus beau n’aura pas été fait encore. La poésie la plus vivante de la science proprement dite, c’est-à-dire de la science moderne, c’est sa rencontre avec le Christianisme dans l’a me même du savant. La voix tour à tour terrible et caressante de l’Eglise, qui, dès notre enfance, s’est donné pour écho la voix maternelle, nous laisse à tout jamais dans l’âme une vibration difficile à éteindre. On a eu beau détruire et oublier même le dogme, il nous en reste le vague et puissant charme d’une hymne dont on ne se rappelle plus une note, mais dont l’impression lointaine subsiste. La science froide et sûre en face d’un spectre religieux qui ne veut pas lui céder la place, voilà le drame moderne de la pensée humaine ; là est le poème, mais je me demande comment fera l’Académie pour le couronner…

Adieu, Madame et excellente amie, je n’ai pas le temps d’en écrire davantage ni même de bien me relire et je n’ai que la place de vous dire que je vais assez bien, que je dîne ce soir chez Doucet, et que je vous envoie mes amitiés respectueuses à vous et aux vôtres.


1878.

Madame et excellente amie,

Vous ne pouvez donc pas sortir de tous vos ennuis de médication et entrer enfin en pleine convalescence ? C’est déplorable et bien douloureux ! Pour moi, j’en ai fini avec ma grippe, mais il m’en reste une facilité à prendre froid que je surveille pour ne pas retomber dans quelque rhume. Je sors avec les précautions nécessaires. C’est ainsi que je suis allé hier à Passy voir Cuvillier-Fleury, à qui je devais faire visite dimanche