Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ardeur, et je suis si bien en train de rimer que je fais, pour me récréer, de petites pièces. Mais la fatigue vient et je commence à avoir besoin de repos…


Dimanche, 2 septembre 18T7.

Madame et excellente amie,

… Je relis la Philosophie de l’Inconscient de Hartmann. Je ne sais si vous avez quelque idée de cet ouvrage ; il y a des chapitres que vous lirez avec intérêt. Il a tout simplement débaptisé et démarqué la Providence, et il l’appelle l’Inconscient. Il suppose que, sous la trame visible et superficielle du monde, une volonté unique, diversifiée à l’infini dans ses effets, dirige tous les individus vers les fins respectives des espèces ; cette volonté agit conformément à un type du monde qui est une idée, et elle est inconsciente ainsi que cette idée même ; mais elle tend à conquérir la conscience et les créations individuelles sont les étapes du progrès qu’elle fait. Celle métaphysique, qui n’est pas bien aisée à concevoir, car on ne se figure pas clairement ce que peut être une idée inconsciente, explique toutefois une multitude de mystères, tels que l’instinct, l’amour, et toutes les sensations obscures. Ce qu’il y a de remarquable dans cet ouvrage, c’est que l’auteur, d’une érudition extraordinaire, puise ses argumens et ses exemples dans des données incontestables de sciences positives. C’est la première fois que la thèse des causes finales, si discréditée malgré Janet, trouve un appui scientifique. Le Darwinisme en reçoit un horion sérieux ; de là, en Allemagne, une débandade intellectuelle que je me propose de suivre de près, car rien n’est plus curieux. Et c’est Schopenhauer qui, de loin, est cause de tout cela, car le premier, il a eu l’idée de donner à la Volonté le rôle souverain dans la nature ; mais il a puisé moins abondamment dans les sciences positives et il rêvait davantage. Hartmann ne laisse pas grand’chose au caprice de l’esprit, bien qu’il arrive aux résultats les plus paradoxaux. De pareilles œuvres font bien sentir l’abîme qui sépare le génie allemand du nôtre. À cette seconde lecture, je comprends bien des passages autrement qu’à la première, et je conçois une plus haute idée de la valeur de cette