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je vous ai lu ma première ébauche, elle est devenue méconnaissable. J’ai trouvé une division rationnelle et claire. Dans un premier chant, que j’intitule Immolations, je me borne à constater ce fait que la vie d’une espèce n’est possible que par l’immolation d’une autre à ses besoins. Dans le deuxième chant, intitulé Servitudes, je relève tous les procédés machiavéliques employés par la nature pour la multiplication des individus dans l’espèce, et c’est le fondement du lien social. Les instincts de maternité, de choix dans l’accouplement (amour, beauté), de respect des individus les uns pour les autres, jusqu’à un certain point, dans une même espèce (les loups ne se mangent pas entre eux, etc.), tous ces instincts asservissent les instincts directement égoïstes qui tendent à détruire pour se nourrir ; ils sont indirectement égoïstes, ils font en quelque sorte passer l’égoïsme par autrui avant de revenir au moi seul. Le troisième chant, intitulé Aveux et Scrupules, est un examen de conscience ; l’homme applique les découvertes qu’il vient de faire dans le domaine de la nature, à sa condition même. Quatrième chant : La Conscience. Après avoir reconnu que le concept de justice, tel qu’il existe dans la pensée humaine, ne trouve nulle part d’application dans l’univers, et que toutefois l’espèce humaine ne peut se développer en bien sans ce concept, il se sent refoulé en lui-même et réduit à s’attacher au sentiment invincible qu’il trouve en son cœur d’une justice au moins utile à la prospérité de l’espèce humaine et spéciale à cette espèce. Hymne à la conscience (c’est l’idée de Prudhon : l’immanence de la justice dans l’homme). Cinquième chant ; j’en suis à ce chant, le quatrième est entièrement ébauché, les trois premiers sont faits. Ici j’ai une série de sonnets encore incomplète sur l’état social selon la justice, où je prouve que le cœur, organe de sympathie nous aidant à pénétrer autrui, nous permet de mieux apprécier ce qui lui est dû, et par conséquent est aussi un organe de la justice ; idée à laquelle j’attache la plus grande importance et qui modifie ta définition ordinaire de la justice, ou plutôt qui en permet l’application avec moins d’imperfection. Enfin, je compte finir par ma série de sonnets : A la France, antérieurement publiée, mais appropriée au poème par une intercalation de vers de huit pieds. J’estime que j’ai fait fort plus de la moitié de l’ouvrage ; il y a 1 200 vers de faits. C’est un vrai poème. Voilà où j’en suis. Je travaille avec une extrême