désolans (au modeste prix de 10 000 francs pièce), ce qui l’a achevé dans l’estime de nos voisins. Ai-je besoin de vous nommer ce peintre ? Quelques sots de ce genre suffisent pour laisser à l’étranger des impressions définitives, bien difficiles à effacer par ceux qui les suivent…
Vendredi, septembre 1816.
Madame et chère amie,
Ce que vous me dites du peu de fondement sérieux de mon spleen m’a facilement convaincu, car après avoir exprimé fort amèrement ma mélancolie, je me suis repenti d’en avoir entretenu avec tant d’importance une amie bien plus légitimement soucieuse que moi. Dans l’ordre matériel, sauf l’état de ma santé, je n’ai à me plaindre de rien, et comme je n’imagine pas de détresse plus odieuse, sinon plus grave, que celle de la vie matérielle, je comprends que mes confidens, affligés de ce genre d’ennui, me donnent peu de compassion ; ils souffrent d’embarras, dont le moindre inconvénient est de les priver de leur liberté de mouvement et de pensée, ce qui est le pire mal, à mon avis ; à vrai dire, mes confidens sont peu nombreux, car je trouve qu’on ne peut se plaindre qu’en proportion de la confiance qu’on a de ne pas ennuyer ; et combien ne faut-il pas aimer quelqu’un pour supporter de lui l’expansion de ses maussades tristesses ? C’est donc parce que j’ai foi dans votre sympathie que j’ose la mettre à si rude épreuve ; le mot sympathie ici n’est pas banal, il signifie une aptitude spéciale à entrer dans les pensées et les sentimens d’autrui, quand ces pensées et ces sentimens seraient regardés comme absurdes par des indifférens. Aussi, que d’absurdités je vous dis, dans lesquelles je me plais à exagérer mes impressions pour mieux les accuser ! En somme, je serais ridicule de me dire malheureux, au sens ordinaire de ce mot ; comment peut-on être malheureux quand on ne manque de rien du nécessaire et qu’on trouve des affections ? Pourtant, je suis sincèrement triste, et quand je m’interroge à fond sur ce point, je reconnais que ce mal a pour causes l’influence de mon état nerveux et de ses suites sur toutes mes entreprises, et aussi mon besoin et ma défiance incurable de la société de la femme,