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cortèges, qui composaient un ensemble des plus imposans. Je vous envoie un programme de cette solennité, c’est une de mes plus vives impressions de voyage ; la ville a fourni 100 000 francs et des sociétés privées 100 000 francs aussi, pour monter les chars et habiller les cortèges. La ville était encombrée de populations venues des environs et des autres villes ; la police n’apparaissait pas, elle était faite par la foule elle-même, l’ordre était partout observé ; l’enthousiasme n’empêchait en rien la discipline de la fête ; il régnait une émotion civique, toute spontanée, grave et profonde, dont j’ai été attendri. De pareilles manifestations n’ont rien de commun avec nos anciennes fêtes du 15 août, où l’Administration se charge de tout et craindrait d’abandonner quelque chose à l’initiative privée. Cet immense défilé se détachait sur un fond de vieilles maisons et d’anciennes églises (car il en reste encore beaucoup à Gand), de sorte qu’on pouvait se croire transporté dans le passé, d’autant plus que les costumes, portés deux fois déjà, avaient fait leurs plis et ne sentaient nullement la mascarade. Quel spectacle instructif pour un peintre de genre ! Les types flamands semblaient avoir retrouvé dans ces costumes leurs cadres véritables ; c’était une série de vieux tableaux en marche, et j’y ai reconnu bien des Mais. Les jeunes gens des meilleures familles de la ville avaient formé le personnel des cortèges ; il en résultait beaucoup de bonne grâce et de distinction dans l’attitude des cavaliers, montés sur leurs propres chevaux. Partout la décence et la conviction : c’était patriotique. J’ai su que la pensée secrète des organisateurs de la fête était d’infliger un échec au parti clérical, fort puissant ici, en obligeant l’autorité réactionnaire à fournir des soldats pour représenter des hommes d’armes et à tolérer l’exhibition des tortures de l’Inquisition. Le char de l’Inquisition était effrayant à voir : un bûcher était simulé tout en flammes avec des tourbillons de fumée, et deux mannequins attachés à un poteau y brûlaient dans d’affreuses contorsions, un cortège suivait portant les divers instrumens de supplice en usage alors. Les cléricaux ont déclaré qu’ils ne sortiraient pas pendant le défilé, si l’on y maintenait ce char ; on l’y a maintenu, et ils le regardaient à travers leurs persiennes.

Vous désirez savoir comment se composait notre société de touristes et quelles ont été nos relations. Je crois, vous avoir dit que nous étions trois, Lafenestre, Lefebvre. et moi, Delaunay