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formé. Je n’attache donc aucune importance à mon opinion personnelle, je sais par expérience qu’un art s’apprend plus encore qu’il ne se devine, et j’ai tout à apprendre.


Harlem, vendredi (sic), 2 septembre.

Madame et excellente amie,

Je profite de quelques minutes de loisir pour compléter ma lettre d’avant-hier, sur Rembrandt. J’ai été hier à la Haye, j’ai vu la Leçon d’anatomie et divers autres Rembrandt, et j’en ai été ravi. Je n’y ai pas trouvé plus de lumière que dans ceux d’Amsterdam, mais à peu près autant, avec un procédé plus simple et, il me semble, plus aisé, moins tendu. Il y a là une petite Suzanne au bain merveilleuse et des portraits splendides ; c’est la plus belle époque du peintre, celle où il n’isolait pas encore sa principale qualité pour la faire valoir à outrance. Je persiste à trouver le jour qu’il donne à ses personnages artificiel et trop fauve, mais c’est un jour d’une puissance inimitable : on le voit bien par les tentatives de ses élèves. Je tiens beaucoup à constater que les autres maîtres, qui n’ont pas obtenu d’aussi grands effets, ne les ont peut-être pas rencontrés dans la nature et ne sont pas pour cela des artistes inférieurs ; Rembrandt ne cherche pas à lutter avec la lumière blanche qui avive le ton local sans l’altérer, en le jaunissant. Cependant, le cadavre de la Leçon d’anatomie est très éclairé et en même temps très pâle, c’est la première fois que j’ai vu ces deux caractères réunis dans le coloris de ce peintre. Aussi je m’étonne que Fromentin (nous avons appris sa mort hier avec la plus grande stupeur) ait traité si sévèrement cette toile admirable.

Nous avons rencontré à la Haye Dubufe et sa famille ; nous leur avons fait les honneurs de Harlem. Il est très frappé de Hals, nous venons de voir ensemble deux portraits de premier ordre de ce maître, dans l’hôpital des vieillards de la ville, il les a examinés, critiqués et commentés avec une science de praticien bien intéressante pour moi. Il y en a un des deux qu’il regarde comme un chef-d’œuvre digne du Titien. Je ne sais si vous connaissez le bon moment de Hals ; le Hals des derniers jours ne ressemble guère à celui des premiers.