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suis loin de trouver que tout soit pour le mieux dans ma vie, et c’est pourquoi je songe à m’étudier moi-même, et à m’imposer une discipline qui utilise le mieux possible les forces qui me restent. Vous avez plus de confiance que moi dans mes facultés ; je ne remarque pas qu’elles produisent selon leurs premières promesses et je l’attribue au peu de solidité et de suite de mes résolutions pratiques, à l’instabilité perpétuelle de mon installation ; je suis toujours comme en camp volant alors cependant que je devrais et pourrais donner une assiette durable à mon existence. Je ne parle pas seulement de cette dernière année qui n’a été tranquille pour personne, mais je jette un coup d’œil sur ma jeunesse entière et je reconnais que je l’ai consacrée à une foule d’expériences, ou du moins à des efforts vers un idéal terrestre mal déterminé, qui ont échoué et doivent au moins me profiter à titre d’épreuves. Je cherche donc quel est le désir auquel je puis rapporter en moi les divers mobiles de mes actes ; si c’est le désir du succès et de la réputation, n’est-il pas évident que je dois modifier complètement mon genre de vie, me répandre infiniment plus et consentir aux moyens ordinaires et indispensables de parvenir ; si c’est le désir d’un bonheur paisible composé de jouissances intimes de l’art et des joies d’un intérieur sans troubles, je dois fixer mon avenir par le choix d’une femme et d’une résidence retirée. Mais quelle grosse affaire ! Il est doux, quoique funeste, de se laisser porter par le flot des jours ; on est disposé à n’entreprendre, on ne se propose que des buts rapprochés, on prend pour but ce qu’on rencontre, ce qui est plus aisé que de chercher la voie qui mène où l’on a résolu d’aller. Que de maux m’auraient été épargnés, que d’heures économisées, si mes pauvres parens avaient seulement soupçonné qu’un jeune homme a besoin d’une direction et s’ils avaient compris celle qui me convenait ! Ils n’auraient pas laissé ma sensibilité sans objet. Ils m’auraient empêché de gaspiller le fonds naturel de l’âme qui, une fois dépensé, ne se reforme plus. On peut abandonner une doctrine pour une autre, mais on ne rebâtit jamais sur le sol mouvant fait des ruines de l’espérance et de l’illusion. Ce qui m’éloigne du mariage, c’est la difficulté de trouver une jeune fille que la pensée n’ennuie pas, qui n’ait pas besoin du monde, que l’abstraction n’effraie pas, et qui sache s’accommoder parfois du silence. Puis, je me rends justice, je