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la cordialité des relations personnelles, la verve et la malignité des critiques réciproques s’exercent avec le plus indiscutable à-propos. Les officiers des corps secondaires, spahis, chasseurs d’Afrique, artilleurs et médecins étaient pris comme arbitres, et, dans les tournois oratoires entre l’école coloniale et l’école algérienne, amusés, marquaient les coups.

Le colonel du régiment sénégalais n’avait pas, à Tiflet, un seul de ses tirailleurs ; mais il commandait la garnison, qui comprenait un bataillon algérien, un bataillon colonial, une batterie coloniale, un escadron mixte de chasseurs d’Afrique et de spahis avec trois capitaines, un goum à cheval, un dépôt de remonte, un détachement du génie, une ambulance : c’était sans doute pour faire oublier le capitaine de cavalerie placé à la tête d’une compagnie sénégalaise pendant la colonne des Tadlas, et d’autres exemples aussi fameux. On voulait en finir complètement avec les Zaërs qui n’étaient pas encore « châtiés, » et, sur le plateau raviné par l’oued Tiflet, cette troupe imposante attendait les événemens. La rumeur publique des camps affirmait bien que les irréductibles Zaërs souhaitaient ardemment notre attaque pour tirer quelques coups de fusil afin de sauver l’honneur et demander ensuite l’aman. Mais, depuis la malheureuse affaire où deux officiers et un sous-officier français avaient trouvé la mort, on ne pouvait croire à un dénouement si banal et si marocain. La colonne Branlières, arrêtée brusquement après son arrivée à la kasbah de Merchouch, se reconstituait avec des effectifs importans, pour refouler par une poussée énergique les Zaërs hors de leur forêt. Le général en chef, lui-même, devait diriger l’ensemble des opérations qui allaient en outre mettre en mouvement les troupes disponibles de la région de Rabat, commandées par le général Ditte en personne. Et l’on comptait écraser ainsi les dernières tribus dissidentes, que la garnison de Tifiet empêcherait de se réfugier chez les Zemmours où les émissaires diligens signalaient des traces d’agitation.

En prévision d’une lutte acharnée, le poste s’agitait comme une fourmilière. Dès quatre heures du matin, ce n’étaient que détachemens de travailleurs affairés, pelles et pioches en mouvement. Les parapets renforcés dressaient sur le sol chauve leurs arêtes rectilignes, coupées par les silhouettes de canons qui tendaient dans le vide leurs cous inquiets. Pendant la nuit,