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M. de Kiderlen a été intarissable et a même fait à ses auditeurs les confidences les plus imprévues : on aurait pu croire que c’était lui qui était le ministre d’une démocratie où le gouvernement n’avait pas de secrets pour son peuple. Mais M. de Kiderlen n’est pas assez naïf pour n’avoir pas parlé à bon escient ; il savait fort bien l’effet qu’il voulait produire. Il a commencé par faire tout un historique de la question, qui a été loin de manquer d’intérêt. Il a rappelé qu’en 1880, au moment de la Convention de Madrid, le prince de Bismarck avait adressé un rapport à l’Empereur et y avait soutenu la thèse que l’Allemagne ne pouvait que souhaiter de voir la France s’engager au Maroc. On sait que la politique de Bismarck consistait à nous encourager dans notre expansion coloniale ; mais celle de ses successeurs a été bien différente ; nous les avons trouvés devant nous comme des obstacles. Il a donc fallu négocier avec eux. Avons-nous autrefois refusé de le faire ? Les journaux allemands nous l’ont reproché et nous avons cru nous-mêmes que nous avions été un peu lents à prendre les déterminations nécessaires : cependant M. de Kiderlen reconnaît qu’après le voyage de l’Empereur à Tanger, en 1905, M. Delcassé a essayé d’ouvrir une négociation directe. Après M. Delcassé, M. Kouvier a exprimé à diverses reprises, officiellement et officieusement, son désir d’une entente : c’est même alors pour la première fois qu’on a parlé du Congo. Pourquoi l’Allemagne s’est-elle dérobée à ces suggestions, à ces propositions même ? Elle était alors férue de l’idée d’une conférence dont l’exécution lui a d’ailleurs mal réussi. L’Acte d’Algésiras lui a pesé, et M. de Kiderlen avoue qu’elle a attendu, non sans quelque impatience, l’occasion de déclarer qu’il n’existait plus. Notre marche sur Fez la lui a fournie ; elle s’en est emparée.

Tout cela est intéressant, mais anecdotique et ne nous apprend rien de bien nouveau. Où ses confidences sont devenues plus curieuses, c’est lorsque M. de Kiderlen a parlé de l’Angleterre. Il a commencé par dire qu’en 1899, M. Chamberlain avait songé à un partage qui eût donné Tanger à l’Angleterre et un port de l’Océan à l’Allemagne, mais qu’on n’en était jamais venu à de véritables négociations : nous le croyons sans peine, et d’ailleurs, quelle que fût son importance, M. Chamberlain, qui n’était ni ministre des Affaires étrangères, ni président du Conseil, n’avait pas qualité pour engager ces négociations. La révélation de M. de Kiderlen, — car cette fois c’en est une, — ne peut avoir pour but que de nous inspirer rétrospectivement des défiances envers nos amis actuels.