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mystérieux, et par cela même très attirant, l’imagination espagnole a toujours rêvé un empire, et elle s’y est attachée avec une force croissante à mesure que des désastres privaient le pays de Charles-Quint et de Philippe II de ses colonies, si nombreuses, si brillantes autrefois, si réduites aujourd’hui. L’Espagne devait donc s’éprendre avec toute la puissance d’un désir national, longtemps entretenu et récemment exacerbé, de l’idée d’avoir au moins une partie du Maroc le jour où une autre puissance aurait le reste : aussi n’y a-t-il pas lieu de se dissimuler que nous nous serions fait d’elle une ennemie irréconciliable, si nous ne nous étions pas prêtés à ce que sa revendication avait de légitime. Or, l’inimitié de l’Espagne serait pour nous, à la longue, un mal plus grand que la possession d’une partie plus étendue du Maroc ne serait un bien et un avantage.

Nous avions enfin un dernier motif d’entrer en arrangement avec elle : il était en Angleterre. Nous ne voudrions pas employer ici d’expressions trop fortes, mais, vraiment, pouvait-il entrer dans l’esprit d’un homme de bon sens, connaissant, comme nous l’avons dit plus haut, l’histoire et la géographie, que l’Angleterre, aussi longtemps qu’elle serait à même de l’empêcher, nous laisserait nous établir sur la côte méditerranéenne du Maroc ? La liberté d’entrer dans la Méditerranée et d’en sortir est pour elle une question vitale, et cette liberté serait singulièrement compromise, non pas dans le présent sans doute, mais dans un avenir indéterminé, si mie grande, une très grande puissance comme la France, qui a déjà dans cette mer des ports qui s’appellent Toulon, Marseille et Bizerte, occupait Tanger en face de Gibraltar et tout le rivage marocain autour de Tanger. Jamais une éventualité pareille ne s’est présentée comme acceptable à l’esprit d’un gouvernement anglais, et pas plus aujourd’hui qu’il y a en Angleterre un ministère radical qu’hier où il y avait un ministère conservateur. L’Angleterre est notre amie ; elle nous a donné dans ces derniers temps assez de preuves de sa fidélité et de sa loyauté pour que nous n’en doutions pas ; mais il faudrait ne pas la connaître pour croire que ses bons sentimens à notre égard pourraient aller jusqu’au sacrifice de ses intérêts essentiels et permanens.

Au moment où M. Delcassé a pris en main la question marocaine avec les intentions que l’on sait, notre bonne fortune a voulu que l’Angleterre inclinât à se rapprocher de nous. Les modifications survenues dans l’équilibre du monde par le prodigieux développement de la puissance allemande l’avaient amenée à