mais un peu distraitement. Elle a des loisirs dont profitent, pour lui faire une cour assidue, divers soupirans, parmi lesquels René Liverdun et Dubois Mantel se distinguent par des mérites différens : le premier plus jeune et plus séduisant, mais le second plus sérieux et surtout plus riche.
Sur ces entrefaites, le mari vient à mourir. Colette est libre. Elle compte bien refaire sa vie. Elle va d’abord au plus pressé, qui est de prendre un amant : René Liverdun. Il y a promesse de mariage, cela va sans dire. Les deux amoureux font toute sorte de projets en vue de ce mariage attendu et espéré. Ils esquissent le tableau de leur future félicité. Et à mesure qu’ils ont l’imprudence d’en préciser les traits, ils s’aperçoivent qu’ils n’ont pas un goût en commun, pas une de ces affinités qui font le charme de la vie quotidienne, et qu’ils ont été désignés par un décret nominatif de la Providence pour ne pas s’accorder. À ce moment, Liverdun père prévient Liverdun fils qu’il ait à ne pas compter sur ses libéralités : il mènera avec Colette une vie de petit ménage. C’est le dernier coup. Dans une scène très vigoureuse, Colette et René se jettent à la tête leurs quatre vérités : ils peuvent être amans, quelle folie de croire qu’ils puissent jamais être époux ! C’est alors qu’ils songent l’un et l’autre à Dubois Mantel. Il a, lui, tout ce qu’il faut pour faire un mari excellent et de tout repos. Ainsi complétant Dubois Mantel par Liverdun, le mari par l’amant, Colette possédera tout le bonheur auquel une femme est en droit de prétendre.
Voilà donc la formule du bonheur : c’est le ménage à trois ! Tel est l’idéal que nous propose l’auteur !… On s’est récrié… On n’avait pas fait attention que, loin de nous donner ses personnages en exemple, ou même de réclamer pour eux aucune indulgence, M. Guinon n’a prétendu qu’à nous mettre sous les yeux, sans réticences et sans concessions, leur laideur morale. Il ne nous présente pas le ménage à trois comme la forme perfectionnée du mariage, mais comme une solution acceptée avec cynisme par nombre de nos contemporains. Il a mis, dans cette analyse des plus vilaines âmes, un très réel talent, me âpreté d’observation ironique et morose. Pour prendre rang de chef-d’œuvre, il n’a manqué au Bonheur que d’être représenté vingt ans plus tôt.
Mme M égard a eu bien de la grâce, et parfois de la force, dans le rôle de Colette. M. Paul Capellani a de l’élégance dans celui de René Liverdun. Nous louerons surtout M. A. Dubosc pour la sûreté et la finesse avec laquelle il a composé le personnage de Dubois Mantel.