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mort-né. Alors Véronique éprouve le besoin de se confesser publiquement. Elle fait venir l’évêque, le curé Bonnet, le médecin et divers habitués de son salon ; et elle leur fait le récit du crime. A quoi bon ? et pourquoi perd-elle une si belle occasion de se taire ? Puis le curé Bonnet l’emmène à Montégnac, patrie de Tascheron, où elle se consacrera aux bonnes œuvres. Tout cela est incohérent, heurté, brutal et surtout si dénué d’intérêt !

Le plus fâcheux de l’affaire est que cette noire intrigue est tirée, plus ou moins librement, d’un romande Balzac. Faute d’avoir relu la veille le Curé de village, et bien que le roman soit l’un des plus réputés de la Comédie humaine, on se demande si Balzac serait donc ici le premier coupable. Après tout, c’est possible. Il y avait en lui, à côté du puissant observateur des mœurs, un passionné d’inventions mélodramatiques, qui se souvenait d’avoir écrit Jeanne la Pâle et Argow le Pirate, quand il s’appelait Horace de Saint-Aubin et lord R’hoone. Un vieux levain de romantisme ne cessa de fermenter chez le grand romancier réaliste. Et le père de Vautrin ne se guérit jamais d’une secrète complaisance pour les forçats libérés ou non. Enfin c’était l’âge d’or du socialisme humanitaire, où chaque héroïne de George Sand se mourait d’amour pour un jeune prolétaire aux reins solides.

Relisons donc le Curé de village. Nous ne manquerons pas d’y admirer, au passage, la richesse des élémens mis en œuvre par le romancier : l’étude savoureuse de la vie de province, le grouillement d’humanité, les types accusés en plein relief, Sauviat, l’ancien porte-balle qui a gagné sou à sou une fortune, Graslin, le manieur d’argent, le curé Bonnet, âme d’apôtre dans sa frêle enveloppe, et Farrabesche, le réfractaire devenu gardien de l’ordre pour expier quelques gentillesses datant de l’époque où il opérait avec une bande de chauffeurs. Mais voici la remarque essentielle. L’art du romancier a consisté, au lieu de nous livrer tout de suite l’affreux secret, à prolonger le mystère jusqu’aux dernières pages du livre. Nous savons qu’un drame a ravagé la. vie de Véronique et que son âme souffre d’une plaie secrète. C’est sa souffrance qu’on nous met sous les yeux et c’est à sa longue expiation qu’on nous fait assister. Comme il arrive chez Balzac, l’infini de la misère intérieure s’extériorise par l’expression de visage de la sainte qu’est devenue Véronique. « Le visage avait alors une teinte jaune semblable à celle qui colore les austères figures, des abbesses célèbres par leurs macérations. Les tempes attendries s’étaient dorées. Les lèvres avaient pâli… Dans le coin des yeux, à la