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Pingret et l’assassiner. La servante étant accourue aux cris, Tascheron a dû commettre un second meurtre. Après quoi, aidé de Véronique, et avec un mouchoir qu’elle lui a prêté, il enveloppe et emporte les pois remplis d’or. Puis il efface sur le sol l’empreinte des pas de sa complice. Du sang et de la boue. Ce n’est pas même le « beau crime » qu’eût admiré J.-J. Weiss : c’est le crime ignoble.

A la suite de ces émotions, si contraires à son état, Véronique fait une fausse couche : on l’aurait faite à moins. Autour de sa chaise longue, on cause de ce crime qui passionne tout Limoges. Elle se mêle, avec l’ardeur qu’on peut imaginer, à la discussion. Elle essaie d’endoctriner tantôt le président du jury et tantôt l’avocat général, pour obtenir à Tascheron le bénéfice des circonstances atténuantes. Il va sans dire que cet assassin nous est donné pour sublime. Pas un mot ne lui échappe ; qui puisse désigner sa complice. Il est essentiellement l’escarpe qui se tait pour ne pas compromettre une femme du monde. Je suis assez de l’humeur de certains vieux magistrats que cette chevaleresque attitude impressionne médiocrement. Tandis que Véronique s’inquiète de sauver les jours de celui qui a tué par amour pour elle, l’évêque songe à sauver l’âme de celui qui va mourir. Il faut obtenir de lui aveu et repentir. Tâche ardue à laquelle un seul prêtre dans le diocèse peut réussir, un saint homme, le curé Bonnet. C’est ainsi que le « curé de village » fait son entrée dans la pièce. Oserai-je dire — et j’en demande pardon à l’Église — combien il m’est indifférent que l’âme de Tascheron soit sauvée ou ne le soit pas ? Cela diminue d’autant mon admiration pour l’apôtre campagnard à qui est dû cet important résultat. Ainsi tout le pathétique, semé à profusion dans cet acte, passe à côté de nous. Pas un instant, notre sensibilité n’est surprise. Nous assistons impassibles et gênés à cette vaine gesticulation.

Et cela va durer encore tout un acte. Ce nom que Tascheron n’a pas voulu livrer, l’avocat général l’a trouvé, en étudiant l’affaire. Et savez-vous quel est sur ce magistrat l’effet de cette trouvaille ? Il propose à Véronique de l’épouser. Car Graslin est mort au cours du procès : il est mort, on ne sait pourquoi ni comment, parce que tel a été le bon plaisir de l’auteur. C’est un fait que les héroïnes des crimes passionnels sont accablées de demandes en mariage ; encore ces demandes n’émanent-elles pas ordinairement du parquet. A son tour, Tascheron meurt, non pas sur l’échafaud qu’il a si bien mérité, mais dans sa prison où il s’étrangle. On meurt beaucoup dans cette pièce dont c’est ici la quatrième victime, sans compter l’enfant