Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/698

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déchiffrait la physionomie du lecteur, tandis que, de toute son attention, il l’écoutait. « Mais, c’est bon, ça ! » Ce mot-là suffisait : on avait de l’ardeur au travail pour des semaines. C’était Napoléon tirant l’oreille au conscrit.

Mais ce qui était surtout communicatif, c’était le spectacle qu’il donnait aux apprentis historiens. On le trouvait, entre les rayons de sa vaste bibliothèque de style impérial, — acajou aux bronzes dorés, — devant le bureau qui, si large qu’il fût, était toujours encombré de notes, de livres et de ces grandes pages bâtonnées de sa forte écriture, tout frémissant d’ardeur et je dirai de plaisir devant le travail fait, et si plein de son sujet qu’il vous entraînait, vous emballait. Que de fois il m’a forcé à m’asseoir à côté de lui dans les conseils de Napoléon, sous la tente de l’Empereur où j’aurais juré qu’il venait de m’introduire ; il m’a fait tirer avec les Marie-Louise, il m’a fait charger derrière Ney. Je sortais éberlué de son cabinet. Comme tous les grands historiens, Houssaye était un visionnaire, mais qui, après avoir contrôlé ses visions, savait vous les faire partager. Je l’ai vu se lever, frémissant d’enthousiasme ou de colère : passant ses mains dans sa chevelure blanchie, il s’agitait et, lui qui ne déclamait jamais dans ses livres, il tonnait ou exultait. Un jour, me parlant de Fouché, il me dit : « L’Empereur eût dû le faire pendre, ce coquin ! » et il eut un geste désolé, comme si l’événement eût été de la veille. Aussi bien, ses livres, écrits d’un style si simple, évoquent de telle façon les scènes et les acteurs qu’il paraît impossible qu’il ne vît pas se dérouler ces scènes et agir les acteurs. « L’historien, a-t-il écrit, ne doit pas seulement raconter les événemens, il doit aussi faire revivre les passions qu’on n’a plus. » Lorsque, avec Houssaye, nous suivons Napoléon, marchant du golfe Jouan à Paris, c’est avec l’anxiété haletante de gens qui ignorent tout du dénouement. Lorsque, à Rochefort, l’Empereur se va livrer aux Anglais, nous nous surprenons à désirer que quelque hasard heureux le détourne de son projet. Michelet contait qu’entrant chez un ami, il le trouva plongé dans un rêve, un livre ouvert devant lui et les yeux remplis de larmes. « Enfin, rapporte l’historien, revenant à lui-même : « Elle est donc mortel dit-il. — Qui ? — La pauvre Jeanne d’Arc ! »

Houssaye a su certainement créer chez beaucoup de ses lecteurs ces surprenantes hallucinations.