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amant de toutes les femmes, courtisanes et femmes de roi, ce don Juan, qui fut disciple des philosophes et généralissime des flottes, permet évidemment à un historien de sortir à toute heure des bornes d’une étroite biographie. Houssaye se fait ici l’historien d’Athènes : toute l’Athènes de ce fiévreux Ve siècle tient dans ces deux volumes.

On ne peut établir aucune comparaison entre l’Apelles et l’Alcibiade. Alcibiade est un vrai ouvrage d’histoire. Certes les hellénistes peuvent, après quarante ans. d’investigations en Grèce, relever dans l’œuvre des erreurs et des lacunes : elle eut sa valeur, comme une forte et attachante synthèse des travaux alors en honneur. On n’y rencontrait d’autre part aucune des fautes de goût qu’on avait relevées dans Apelles. Houssaye s’appliquait, à lui tout le premier, cette discipline qu’il rêvait pour la nation : son romantisme était resté frappé à mort, ainsi que son passager dilettantisme, dans les tranchées du siège.

Ce qu’il faut cependant observer encore, c’est qu’il reste fidèle, ainsi qu’il l’a dit, au culte de la Beauté. Si Alcibiade le séduit, c’est que les statuaires grecs lui faisaient poser les Éros. Cet homme est un demi-dieu en qui s’incarne pour Houssaye l’Athènes bien-aimée : tout en reconnaissant les erreurs et les crimes de ce demi-dieu, son biographe entend qu’il ait été supérieur en toutes choses : ne se récrie-t-il pas lorsqu’il entend prétendre qu’Alcibiade est allé recevoir des leçons de volupté à Abydos ? « Alcibiade, écrit fièrement l’historien, quel que fût le degré de dépravation des Abydiennes, n’avait pas à prendre leurs leçons. Loin d’en recevoir d’elles, il leur en eût plutôt donné. » Cet orgueil de biographe me plaît.

L’ouvrage rencontra bon accueil. L’Académie française le couronna, lui octroyant le prix triennal Thiers. « Prix de bon augure pour une vocation historique, » proclamait Patin. Jamais l’auteur des Tragiques Grecs ne rendit un aussi heureux oracle. Tous les lauréats du prix Thiers ne peuvent, hélas ! avoir la prétention de donner, autant qu’Houssaye, raison au clairvoyant secrétaire perpétuel.


Houssaye alla rendre visite à Thiers. Il m’a souvent raconté que l’illustre historien du Consulat et de l’Empire l’engagea vivement à se cantonner dans l’histoire grecque, ajoutant qu’en