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enfant expansif et terriblement tapageur, ainsi qu’il convient. Par certains traits de sérieux cependant, il étonnait Arsène Houssaye qui, veuf, avait essayé de ne pas assombrir de tristes souvenirs le cœur de « son garçon. » Celui-ci, cependant, voulut « garder la religion de la tombe qui se rouvrirait[1]. » Ce n’était pas le style de l’hôtel Houssaye et de ses redoutes travesties. A dix-sept ans, cet « éphèbe charmant » eût pu se laisser entraîner par le tourbillon ; le professeur Patin, secrétaire perpétuel de l’Académie, devait, chose un peu bizarre, quelques années après, en le couronnant, féliciter le jeune homme d’avoir su s’arracher « à la séduction du monde. » De fait, on apprit un beau jour avec surprise que ce joli garçon passait ses journées et maintes soirées plongé dans les auteurs grecs que Philoxène Boyer, devenu son précepteur, lui avait appris à lire et à chérir. Audacieusement, ce jeune homme de dix-sept ans publiait une Histoire d’Apelles. « Qui ça, Apelles ? » durent se dire bien des habitués des fêtes vénitiennes de l’avenue Friedland ; car certains, de la Grèce, ne connaissaient guère que la belle Hélène remarquablement incarnée, en cette année 1867, par Mlle Schneider, des Variétés.


Henry Houssaye, dans les dernières années de sa vie, exprimait le regret d’avoir publié l’Histoire d’Apelles. Ayant, depuis, appris à penser et à écrire dans un tout autre style, il déplorait en cette publication un péché de jeunesse. A quel âge en commettrait-on, sinon à dix-sept ans ?

Il avait raison et tort. Le premier livre d’un historien est bien rarement un excellent livre. Les uns y mettent trop de sentimens mal éprouvés, les autres trop d’érudition mal digérée. On peut être un très grand poète à vingt ans, un très grand romancier à trente : l’histoire demande non seulement l’expérience de la documentation, mais celle de la vie ; comment donc serait-on un grand historien avant quarante ans ? L’Histoire de la Révolution d’Adolphe Thiers est une œuvre de jeunesse,

  1. « Henry n’a pas fait une seule action sérieuse dans la vie, lit-on dans les Confessions d’Arsène Houssaye, sans aller demander conseil au tombeau. La veille de partir pour la guerre, il a fait tout un voyage pour aller s’agenouiller dans la chapelle de Bruyères. Quand il a eu la croix, il n’a pas voulu la porter sans avoir fait le même voyage. »