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de si vilains excès de tous les genres qu’au printemps de 1774, sa fortune, son honneur et sa liberté faillirent sombrer à la fois dans un scandale abominable.

Avec l’aide de l’architecte et du décorateur de son nouvel hôtel, deux Italiens à peu près illettrés dans notre langue, auxquels il adjoignit un compatriote, son barbier, M. de Cabris avait affiché sur les murs de Grasse, et répandu en copies ou en placards dans toute la province, une suite de couplets obscènes où les dames de Grasse et leurs maris, — le premier magistrat de l’ordre judiciaire en tête, — étaient atrocement diffamés. Un long et pénible procès s’ensuivit. Finalement, il en devait coûter à M. de Cabris plus de cinquante mille écus et le peu qui lui restait de raison pour désintéresser les victimes et apaiser le bruit de cette affaire. Mais avant d’atteindre à ce résultat, le plus satisfaisant possible vu l’indignité et la gravité de son acte, M. de Cabris avait rendu intenable à Louise la vie commune, en s’acoquinant d’une maîtresse qui n’était autre que la femme du barbier son complice ; il l’avait installée à demeure dans sa maison.

Peu de mois après l’apposition de ces affiches diffamatoires, alors que l’esclandre était encore dans son vif, un soir d’août 1774, fort tard, un homme qui ne voulait point se nommer se présenta à la porte du nouvel hôtel de Cabris où Louise vivait seule avec sa fille et sa domesticité, tandis que Jean-Paul se tenait retiré dans son château voisin. Ce visiteur demandait un entretien immédiat par un billet non signé et d’une tournure mystérieuse, mais dont l’écriture n’était nullement déguisée. Son incognito n’était que pour la livrée et pour les étrangers. Bien loin de chercher à troubler, à inquiéter Louise, il craignait pour lui-même les suites de sa longue mésintelligence avec elle. Louise l’accueillit pourtant sans hésitation et lui donna un gîte pour la nuit. C’était Mirabeau. Après des excuses et des effusions précipitées, il conta son histoire. Louise en savait le commencement, premières déceptions d’un mariage sans amour comme sans raison, déboires d’argent, énormes emprunts usuraires, poursuites des créanciers, lettres de cachet mettant le malheureux prodigue à l’abri des décrets de prise au corps pour dettes, enfin procédure en interdiction, intentée devant le Châtelet de Paris à la requête du marquis de Mirabeau. La suite en était un imbroglio encore plus noir, dont on connaît le détail ; nous