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à son idole pour prendre une gazette sur une table et s’abîmer dans sa lecture comme par une trappe. Louise, un peu hautaine et gourmée à force de stature et de dignité, gênée par cette indifférence ennuyée et muette, mais belle, éclatante, fraîche à peindre, « rongeait des clous. » L’amalgame ne s’opérait pas. Comment la trouvait-il ? Peut-être ni belle ni jolie, à cause d’une certaine vigueur d’expression, d’une certaine raideur de maintien, qui ne voulaient être pourtant que décence et que noblesse : beauté de tragédie, non d’idylle. Interrogé par son cousin, Jean-Paul dit qu’il était content du premier aspect. Louise, interrogée par son père, dit qu’elle était contente du moment qu’il l’était. Les fiançailles eurent lieu le lendemain ; et le surlendemain matin, le mariage fut béni dans la petite chapelle du château, avant la messe, selon le vœu de Mme de Cabris. Elle avait écrit à l’Ami des Hommes : « L’on fait quelquefois des mariages le soir et l’on ne dit la messe que le lendemain matin. Je vous prie d’avoir la bonté que l’on observe que la messe se dise après le mariage. Nous ne saurions prendre trop de précautions pour attirer les bénédictions du Seigneur sur nos enfans. »

Le marquis de Mirabeau répondit à M. et Mme de Cabris en leur faisant part de la célébration par une lettre modérée et comme rabattue de ton : « J’espère, y disait-il, que les jours que la Providence destine à cette union ressembleront à celui-ci qui n’est ni bruyant ni même gai que de cette satisfaction qui fait le concert des familles honnêtes. » Il fut plus explicite avec M. de Saint-Cézaire sur cette inertie et ces inattentions de son gendre, qui le tarabustaient ; il lui disait :


Nos enfans sont mariés de cette nuit, mon cher maître, et arrangés à cette heure-ci comme s’ils l’étaient depuis trois ans. Mme Louise est un chef-d’œuvre dans les occasions, je n’en étais pas en peine. Nature l’a bien servie, et elle avait ici de bons avertissoirs. À l’égard de mon nouveau gendre, je crois que ce sera un rare corps. Il est fort content, dit-on, mais il n’a été ni plus haut ni plus bas un moment que l’autre, l’air ouvert, naturel et noble, et simple et distrait… Il m’embrasse de bon cœur quand il y songe. En tout cas, je les crois bien assortis ensemble. Il ne me paraît pas un homme fort susceptible d’engouement, et tant qu’il restera quelque chose à conquérir à Louise, elle fera l’eu des quatre pieds de la perfection Au reste, je n’aurais jamais osé espérer trouver un jeune homme de cet âge si formé. Que Dieu les bénisse !