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d’elles avant leur âge nubile ; mais cet âge venu, il ne les quittait plus des yeux jusqu’à leur établissement. Le tour de l’aînée Marie, était passé ; un peu disgraciée par une stature colossale et sujette à des accès de démence, elle était confinée pour la vie au couvent des Dames dominicaines de Montargis, où elle portait déjà le voile blanc des novices. Suivait Caroline dont le parti était connu. Louise, la dernière, était donc près de soutenir le redoutable examen paternel. Le marquis ne la connaissait guère par lui-même, bien qu’il s’en fût séparé il y avait peu de temps et qu’elle eût grandi auprès de lui jusqu’en sa onzième année entre ses deux frères, le comte Gabriel et le chevalier Boniface. Il s’en était rapporté sur son compte aux dires de la douairière de Mirabeau, sa mère, de Mme de Pailly, sa maîtresse, de la petite comtesse allemande, veuve de son frère Alexandre, et de Mme Poisson, la gouvernante de sa marmaille. Mme Poisson résumait le mieux l’opinion commune sur Louise en disant d’elle : « Point de milieu ; ou excès en bien, ou en mal. » La petite comtesse allemande ajoutait seulement : « Il n’y a de trop que l’alternative. » Quant à la mère de la petite, elle n’avait plus voix au chapitre. La marquise de Mirabeau vivait reléguée en Limousin, son pays natal, pour raison d’inconduite.

Louise avait été mise au couvent, à Montargis, depuis moins de quatre mois, lorsque, sans avis préalable, sa sœur Caroline fut envoyée à Aigueperse, chez sa grand’mère maternelle, la marquise de Vassan, fiancée le lendemain de son arrivée, et mariée le surlendemain au jeune marquis du Saillant. Jamais demoiselle ne fut moins avertie du sort qu’on lui avait ménagé, et jamais aucune n’eut moins lieu de s’en plaindre. Le 18 octobre 1763, jour où l’évêque de Limoges bénissait cette union promise au plus rare bonheur, le marquis de Mirabeau en fit part à son frère le bailli. Après s’en être félicité, il lui apprenait que, « sur le bruit de cette affaire, » son ami M. de Saint-Cézaire, gentilhomme du pays de Grasse, lui avait demandé s’il avait encore une fille à marier : « J’ai répondu qu’il ne me restait que ma Louise, qui n’a que onze ans et qui sera, je crois, de bon aloi. Sur ce, il m’a marqué qu’il me voulait préparer un sien voisin, homme de château aussi, et tout au plus passant les hivers à Grasse, ce qui vaut Brive où règnent les Saillant. Ce jeune homme a quinze ans à présent et un père de soixante-dix. Il lui connaît sa terre qui lui rend 27 000 livres de rente. Il