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QUELQUES ÉPISODES
DE LA
JEUNESSE D’UNE MIRABEAU
D’APRÈS DES DOCUMENS INÉDITS[1]


I

Il s’agit de la jeunesse d’une sœur de Mirabeau, sa cadette d’un peu plus de trois ans. Elle était née le 4 septembre 1752, au château du Bignon près de Nemours. On l’appelait familièrement Louise. La chronique de son temps l’a souvent mise en vedette sous son titre de femme, marquise de Cabris. Mais on retiendra plus volontiers, sans doute, le surnom, — Rongelime, — dont son bourreau de père l’a marquée d’un trait de plume indélébile, pour sa ressemblance, disait-il, au serpent de la fable.

Rongelime était d’une grande beauté, mais plus imposante que touchante. Elle semblait créée pour la conquête et la domination. Tête hardie, machinante, et d’une fixité rare dans ses

  1. La plupart de ces documens proviennent de la riche collection de papiers Mirabeau, formée par le fils adoptif du tribun, Lucas de Montigny, et conservée jusqu’à ce jour chez les héritiers de son nom, de ses talens et de sa libéralité. Seuls de nos devanciers, MM. de Loménie en ont eu une connaissance complète. Cependant, ils n’ont pas cru devoir les produire, ni même en signaler l’existence autrement que par allusion : et nous aurions imité, sans doute, leur délicate réserve, s’ils l’avaient observée plus complètement. Mais leur discrétion a été entamée, et l’impartialité des quelques pages consacrées à Mme de Cabris dans leur grand ouvrage sur les Mirabeau a été assez altérée, à la fois par la forte impression ressentie à la lecture de ces documens et par le parti pris d’en passer le texte sous silence. Ils ne se sont pas souciés, puisqu’ils les écartaient, de les vérifier avec rigueur et d’en déterminer la portée avec exactitude. Ils ont adopté simplement, sur cet article pénible, l’opinion du marquis de Mirabeau, comme étant la plus croyable, venant d’un père. Mais il n’y avait pas d’opinion moins digne de foi dans une question où ce père terrible estimait qu’il était vital pour lui de détruire sa fille par tous les moyens, le déshonneur non excepté. Une révision de ce jugement défavorable s’imposait à nous d’autant plus que dans notre biographie de la Comtesse de Mirabeau, publiée naguère ici même, nous avions été abusé à notre tour par la concordance des diatribes du marquis de Mirabeau et des imputations de Mirabeau lui-même contre Mme de Cabris. Nous n’avions entendu que deux cloches ; il y en avait au moins trois à faire sonner ; et pour cette fois, enfin, aucune ne se taira. — Nous devons le surplus de notre documentation A. M. le marquis de Clapiers, à qui, dans une autre partie de cet ouvrage » nous exprimerons plus amplement notre gratitude. — D. M.