Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La déclaration est catégorique. Quelles que soient les précautions oratoires dont elle s’enveloppe, telle est bien, au fond, la pensée de la majorité musulmane. Si cette propagande d’union religieuse continue, nous allons voir se dresser contre nous, de l’Inde au Maroc, un bloc formidable de populations islamiques qui ne veulent ni de nos mœurs, ni de nos idées, ni surtout de notre domination. Dans un temps qui n’est peut-être pas très lointain, la Chrétienté opposée à l’Islam redeviendra une réalité. Après s’être battus si longtemps pour de grossiers intérêts matériels, on recommencera peut-être à se battre pour des idées.

Même si l’émeute de Tunis avait été moins sanglante qu’elle ne le fut, elle aurait encore servi à mettre en lumière, comme un symptôme des plus alarmans, ce nouvel état d’esprit, qui tend à se généraliser dans toute l’Afrique du Nord.


En résumé, entre nos sujets musulmans et nous, il n’y a pas d’entente à espérer sur le statu quo, qu’ils subissent la mort dans l’aine. Jamais ils n’entreront dans la cité française. En face d’eux, comme à l’époque romaine, nous ne représentons que l’Empire, la puissance militaire et administrative du vainqueur : c’est un rude échec pour nos rêves d’assimilation, ou même de collaboration fraternelle. Notre rôle est, en grande partie, un rôle de parade, souvent lourd à soutenir, mais qui nous vaut, au demeurant, quelques bénéfices et aussi de faire une certaine figure dans le monde : ce qui n’est pas si méprisable.

Résignons-nous donc à savoir que les Arabes nous regardent comme des ennemis et, puisqu’ils ne croient qu’à la force, donnons-leur l’impression qu’elle est et restera de notre côté. Ajoutons-y, pour l’adoucir, et parce que nous le devons, une vertu qu’ils ne connaissent guère et que nos administrateurs les plus arabophiles ne pratiquent pas toujours eux non plus ; la justice.


Louis BERTRAND.