Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/597

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

culte et qu’on ne gênât pas trop leurs habitudes. Les colons d’alors n’étaient pas très nombreux. C’étaient, en général, de pauvres diables, dont les modestes entreprises ne bouleversaient point le pays. Mais, après 1880, surtout après l’introduction de la vigne, notre système de colonisation s’est modifié. La grande exploitation agricole et industrielle a commencé la conquête complète et définitive du sol. Le Roumi n’était plus l’étranger l’hôte de passage, ou le garnisaire errant, mais le véritable maître de la terre, et un maître de plus en plus avide et envahissant. Une ère nouvelle s’ouvrait pour notre colonie et, en même temps, par un contre-coup inévitable, les dispositions des indigènes à notre égard évoluaient dans un sens de plus en plus hostile.

Nous ne voulons pas le remarquer ou, quand nous le remarquons, nous croyons désarmer cette hostilité en accordant à nos sujets africains toutes les concessions et toute la tolérance possibles. Au premier abord, il semble qu’ils n’ont pas à se plaindre de nous. Depuis quelques années, nous leur avons témoigné un intérêt insolite, nous leur avons prodigué les écoles et les mosquées, nous les avons traités comme ne le sont point nos catholiques de France ; nous avons même essayé de relever l’art et les industries indigènes, à peu près abandonnés ou abâtardis depuis des siècles : leurs broderies, leurs tapis, leur architecture, nous avons essayé de faire revivre tout cela. Quand je contemplais, dans les rues d’Alger, ces médersas, ces zaouïas, ces édifices publics nouvellement construits, — tout cet étalage un peu inquiétant de style néo-mauresque, — je me demandais ce qu’auraient pensé les vieux colons, en voyant leur ville se travestir à l’arabe : un revenant de 1830 aurait cru qu’Alger était reconquise par les Turcs.

Le gouvernement de nos colonies africaines vient de traverser une période d’arabophilie incontestable. Ces sentimens amicaux, interprétés par les indigènes comme des signes de faiblesse, ont donné les fruits qu’ils devaient donner : la rébellion et l’émeute.

Nos politiciens et nos littérateurs qui viennent flâner dans les souks ou les cafés maures, écouter les doléances des mécontens entre deux bons dîners, s’étonnent ou s’indignent de cet état de choses. Ils ne veulent pas comprendre l’hostilité foncière et, en quelque sorte, nécessaire, qui divise l’indigène et l’Européen.