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flottanles et qu’on y enterrait les gens au petit bonheur, partout où il y avait des places libres. Rien de plus choquant qu’un tel désordre pour nos esprits d’Occidentaux. Avant de trop crier contre la municipalité de Tunis, saisissons bien qu’au fond elle s’est comportée à la française ou à l’européenne et qu’en somme elle a prétendu mettre un terme à un abus contraire à tous nos principes de droit. Faute d’être renseignés exactement sur les coutumes et la psychologie des indigènes, nous eussions sans doute procédé comme elle.

Les choses se compliquent encore, quand on essaye de scruter les dessous de l’affaire, quand on en examine les tenans et aboutissans. Délimiter un cimetière musulman et en garantir les titres de propriété n’est point, après tout, un crime si monstrueux. Mais il paraît que, sur le terrain usurpé par les morts arabes et reconquis par le cadastre du Protectorat, il était question de faire passer une route et, sur cette route, un tramway. Vilaine affaire ! Des arrière-pensées de spéculation envenimaient ainsi une simple opération cadastrale. Si l’on songe que le scandale de certaines spoliations retentissantes est encore tout frais dans la mémoire des indigènes, on comprendra ou on excusera leur émotion, à la nouvelle qu’un lieu sacré allait être morcelé et profané par des Chrétiens.

N’appuyons pas trop, néanmoins, sur ces considérations secondaires, quelle qu’en soit l’importance. Il est évident, aujourd’hui, que l’immatriculation du cimetière de Djellaz n’a été, dans la pensée des Musulmans tunisiens, qu’un prétexte pour tomber sur les Italiens, et, d’une façon générale, — après l’occupation du Maroc et de la Tripolitaine, — pour protester contre les empiétemens des nations chrétiennes en terre d’Islam.

Que le mouvement ait été surtout anti-italien, cela n’est pas douteux. On pourra tout au plus soutenir que ce sont les Italiens qui ont commencé l’attaque. Une enquête aurait révélé, nous apprennent certains journaux, que c’est un Italien qui tira le premier sur les Arabes massés autour du cimetière. Mais d’autres enquêtes ont établi que ces vêpres tunisiennes étaient préméditées, que la rumeur en courait depuis plusieurs jours dans les quartiers populaires et qu’enfin des sommes d’argent considérables avaient été distribuées aux meneurs de l’émeute.

Discuter sur ces points de détail, toujours contestables, serait pur dilettantisme. Le vrai, c’est que cette rébellion couvait