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La révolution ! Quel gros mot ! S’agissait-il d’un soulèvement en masse des indigènes ? Pour m’en éclaircir, je m’achemine au plus vite vers la Résidence générale. Mais une brusque panique me barre immédiatement la route. Des coups de revolver éclatent. Une femme de colon français me crie :

— Sauvez-vous ! Vous ne savez pas de quoi les Arabes sont capables !

La foule terrorisée s’enfuyait vers les maisons. Entraîné par la bousculade, je me jette dans le vestibule de l’hôtel, dont les domestiques sont en train de verrouiller la porte. Les voyageurs grimpent quatre à quatre les escaliers des étages, pour se réfugier dans leurs chambres ou sur les terrasses. Il fallait voir les visages décomposés. Le comique de la scène, c’est que les plus ardens à se barricader étaient deux marchands de photographies musulmans qui tremblaient à l’idée que des bandes italiennes pouvaient forcer le local, tandis que nous tremblions d’être assommés par leurs coreligionnaires.

Et puis nous en fûmes quittes pour la peur. Dix minutes après, les groupes de curieux recommençaient à circuler dans la rue, l’hôtel rouvrait ses portes, et des nouvelles lamentables nous arrivaient coup sur coup des quartiers indigènes, où Italiens et Arabes étaient en train de s’égorger. Nous apprîmes l’échauffourée du cimetière de Djellaz, cause occasionnelle de l’émeute, la déroute et l’assassinat des agens de police, la charge des zouaves et finalement le massacre organisé dans les rues populaires de la vieille ville. Impossible de bouger de chez soi. Les principales artères sont barrées par la troupe, et il est recoin mandé aux Européens de ne pas s’aventurer dans Médina et les faubourgs. Nous ne pouvons juger du carnage que par le passage intermittent des civières qui transportent dans les hôpitaux les morts et les blessés.

Cependant des détails particulièrement horribles, — et continués plus tard par les journaux, — nous étaient apportés par des passans en fuite. Des femmes italiennes avaient été abattues à coups de hache, dans leurs maisons, — lâchement assassinées par des énergumènes. Deux vieillards qui conduisaient la voiture des petites sœurs des pauvres, — deux Italiens, il est vrai, — ont été assaillis, précipités à bas du siège : l’un est mort, l’autre grièvement blessé. Tout près de chez nous, un grand nègre s’est rué sur une fillette italienne que sa mère