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de la campagne, voués à l’eau contaminée des « séguias, » à l’influence déprimante du pain d’orge, tringlots et marsouins ont, du moins, une puissante consolation. Ils savent que les tirailleurs algériens, cantonnés dans les frais logemens de la kasbah, sont tenus avec une sollicitude inquiète à l’écart de leur enfer ; que le vaste bois voisin du Sultan, jalousement surveillé par l’autorité militaire, réserve ses ombrages aux mercantis juifs dont les tentes arrondissent, sur la lisière, un cercle tentateur.

Un souci maladroit de l’hygiène n’allait pas tarder à compléter les funestes effets d’un bivouac si mal choisi. On supposait que les colonnes, dès leur retour, s’installeraient sur les terrains déjà occupés, pendant quinze jours environ, par les 6 000 hommes, les 3 000 chameaux, les 600 chevaux et mulets que le général Moinier avait rassemblés autour de Fez. En d’autres pays, dans nos colonies les plus misérables, des natifs convenablement dressés et payés auraient exécuté un nettoyage nécessaire, répugnant et dangereux ; mais, « en Afrique, » c’est-à-dire dans la contrée bornée par la mer Méditerranée, l’Atlantique, la Tripolitaine et le Sahara, on professe pour la paresse des indigènes un religieux respect. Et les marsouins, avec la sérénité qui les caractérise, promenèrent le fer et le feu, la pelle, la pioche et le balai, sur les immondices en putréfaction dans les camps abandonnés. Ils nettoyaient, pour les approvisionnemens de l’Intendance, le « Fondouk » de Dar-Dbibagh, où les cortèges des caïds et des pachas avaient accumulé pendant des siècles les témoignages malodorans de leurs intermittens séjours. Ces besognes viles, pénibles et malsaines, imposées à des organismes en désarroi, ne devaient pas tarder à rendre visibles leurs pernicieux effets. En moins d’un mois, la dysenterie et la typhoïde peuplaient l’hôpital, et les cortèges funèbres développaient sur le chemin du cimetière leur sévère ordonnance et leur poignante régularité. Le décès quotidien réunissait chaque soir, autour du cercueil ceinturé de tricolore, les officiers émus, les soldats vite blasés, qui venaient saluer le sacrifice inutile d’un obscur compagnon d’armes.

Mais, malgré la brutale opposition de ces navrantes réalités et des primitifs rêves de gloire, l’entrain de notre race se conservait intact. Un amateur de foot-ball avait eu la constance de transporter, depuis la France, un ballon dans son sac ; et, malgré