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L’incendie, qui courait le long du bateau, s’y propageait rapidement, s’opposant au sauvetage et atteignant successivement les diverses soutes à projectiles. Le plus pressé eût été de faire fonctionner les pompes à incendie, mais, nous l’avons dit, le bateau était à sec. L’enseigne de vaisseau Houx s’efforça dès le premier moment d’ouvrir les portes du bassin pour faire entrer l’eau. Malheureusement, les vannes ne fonctionnaient pas. S’obstinant dans sa tentative, sur ce terre-plein fauché par la mitraille, le jeune officier périt en héros sans pouvoir réussir. Et il fallut que la Patrie démolît les portes à coups de canon.

Il ne restait plus de l’Iéna qu’une coque percée à jour, éventrée sur les deux flancs, des ponts tordus, des cheminées déchiquetées, des machines détruites. L’équipage comptait, avec 33 blessés, 117 morts, dont 8 officiers, et parmi eux le capitaine de vaisseau Adigard, commandant du cuirassé.

Il n’y eut qu’une voix parmi les officiers de vaisseau pour accuser la poudre B. Mais l’enquête technique ne put conclure, faute d’accorder les convictions opposées de ses membres marins et de ses membres artilleurs. Quant à la direction centrale de l’Artillerie de marine, venant appuyer de tout son pouvoir celle des Poudres et Salpêtres, elle prit hâtivement parti contre l’hypothèse des marins. Des deux grandes commissions parlementaires, l’une, celle du Sénat, accepta au contraire cette hypothèse comme la seule justifiée, tandis que la commission émanant de la Chambre des députés restait dans le doute. Néanmoins l’une et l’autre demandaient des réformes profondes dans le service des poudres et des progrès de la technique. L’opinion publique réclamait avec elles.

Les documens portés à sa connaissance par ces différentes enquêtes révélaient le peu de sécurité de la poudre B, contrairement aux affirmations officielles. On y voyait relevés des accidens imputables à une combustion spontanée : à la poudrerie du Pont-de-Buis en août 1803, à Alger en septembre 1894, sur le cuirassé Amiral-Duperré en mai 1896, à la poudrerie de Saint-Médard en juin, à celle du Bouchet en juillet de la même année et à Tunis en août, à Saigon en 1897, au Bouchet en novembre 1898, à Nice et à Villefranche en août et octobre 1899, à Angoulême en juillet 1900, sur le Vauban en septembre, sur le Descartes en octobre, à Marseille en juin 1901, à la poudrerie du Ripault en septembre, à Versailles en juin 1903 et à