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la chambre voûtée est donc maintenant dégagée, reçoit directement l’air et la lumière comme du temps d’Isabelle d’Este. Mais son studiolo n’en a pas moins disparu, et c’est ailleurs qu’il nous faut chercher un asile pour nos tableaux.

Sera-ce la suite de petites chambres ou camerini, connue sous le nom de Paradiso ? C’esl la partie la moins détruite et la moins restaurée des anciens palais. Elle est dans ce qu’on appelle la Corte Vecchia, au premier étage, avec vue au levant sur le lac. Entrons-y. Nous la trouvons, telle, à peu près, que l’a quittée Isabelle d’Este, et les soldats ou les locataires successifs qui y ont habité n’ont pu effacer entièrement ses traces… Le vent seul habite le reste des palais, — et le silence et la solitude : ici, on se sent chez quelqu’un. Ce fut toujours le goût des Italiens de bâtir d’immenses palais pour ensuite n’y habiter que des cellules étroites, et y vivre comme des rats dans un transatlantique ; et aussi sur des sommets d’où la vue peut embrasser le monde, de réduire le jour à des sortes d’embrasures haut perchées et incommodes, qui ne visent guère que le ciel. Rarement, ce goût fut poussé plus loin que chez la grande marquise. On le voit dans ce Paradiso entièrement conçu par elle et pour elle, après la mort de son mari et où elle est venue passer les dix-neuf dernières années de sa vie, de 1520 à 1539,. et finir ses jours. Mais rarement aussi, cellule fut décorée plus amoureusement ; jamais on ne vit profiter d’un espace si réduit pour signifier aux yeux et à l’esprit tant de choses.

La porte de communication, entre les deux principaux camerini, est un poème de marbres de toutes les couleurs : sur les chambranles jaunes, noirs ou rouges sont posés des médaillons de marbre blanc comme des cachets sur des scellés, et dans ces médaillons des statues en miniature d’une délicatesse infinie. On les attribue à Cristoforo Romano : elles sont dignes des plus grands maîtres. Tous les symbolismes d’Isabelle d’Este se voient dans ce cadre de porte. Minerve, debout, s’appuie sur sa lance et sur son bouclier, entre une armure dressée sur un tronc d’arbre et l’olivier symbolique ; la Musique, trône entre des pupitres et des tablatures ; Orphée suspend sa lyre à un arbre ; une figure singulière de femme porte des livres sur sa tête et foule, du pied, dans sa course, une tête de mort… Deux médaillons d’un marbre violacé, couleur de lilas, plaqués au milieu des chambranles, et un troisième, au front du linteau,