Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 6.djvu/552

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

accrocher nos chefs-d’œuvre ? Comment trouver le lieu exact pour lequel on les a conçus et où ils furent placés autrefois ?

Cela n’est pas facile. Isabelle d’Este a vécu dans trois régions distinctes de ce palais, et fort éloignées les unes des autres. Pour voir ce qui reste de son premier appartement, celui où elle a passé les trente années de son mariage, c’est-à-dire toute sa jeunesse et un peu plus que sa jeunesse, il faut aller tout au bout des palais, jusqu’au bord du lago mezzo, dans le vieux Castello sombre, sentinelle avancée de Mantoue vers le Nord. Deux tours carrées, hérissées de mâchicoulis, flanquent ses extrémités : dans celle de l’Ouest, on trouve la chambre peinte par Mantegna, la Sala degli Sposi, avec ses fresques admirables ; dans celle de l’Est, il n’y a rien ; mais entre les deux, dans un petit avant-corps qui s’avance vers le lac comme un cap, une chambre exiguë, voûtée en berceau, retient l’attention. Certes, ce petit réduit, éclairé par une étroite barbacane, ressemble plus à une casemate qu’à un boudoir. Pourtant, on se croit entré dans un coffret précieux ; sous la voûte, on voit des restes d’outremer et d’or : toute une décoration, d’une délicatesse infinie, encadre deux motifs alternés, toujours les moines : une portée de musique où sont figurées des notes qui ressemblent à des pauses et des gerbes de bandes de parchemin, liées par des rubans dont les bouts flottent au vent. Voilà tout ce qui reste du premier appartement d’Isabelle d’Este, de ce studiolo célèbre, où elle vécut de l’année 1490, date de son mariage, jusqu’à l’année 1520, après la mort de son mari, et où elle rassembla ses premiers trésors d’art.

Elle habitait sûrement là, quand elle commanda nos Mantegna, mais où les mettre ? Où sont les chambres qui les pourraient contenir ? On ne saurait les accrocher dans ce réduit large, ou plutôt étroit, de deux mètres cinquante, qui semble n’être qu’un passage et qui n’était qu’un passage, en effet. Au bout, là où ce petit avant-corps se termine à pic, était autrefois un autre palais petit, bas, carré, bâti du vivant même d’Isabelle d’Este, pour sa jeune belle-fille, la princesse Paléologue, et appelé pour cela la Palazzina della Palcologa. Et pour passer du Castello ancien à ce nouveau palais, on dut percer notre casemate à la voûte bleu et or. Pendant plusieurs siècles, elle ne lut donc qu’un corridor. Puis la Palazzina della Palcologa tomba en ruines. On l’a démolie il y a quelque douze ans :