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En sorte que, dans ces temps de tueries et de pillages, on recouvrait plus aisément ce qu’avait dérobé un bandit que ce qu’avait recueilli un collectionneur.

Ainsi, chaque désastre, chaque tempête apporte son épave à la jolie naufrageuse et, en parcourant sa Grotta, le visiteur, un Castiglione ou un Pietro Bembo, pouvait mentalement dresser le martyrologe de l’Italie. Pour elle, une couronne qui tombe, c’est un collier qui se dénoue et elle se met, s’il le faut, à plat ventre pour retrouver les perles défilées. Un artiste qui meurt, c’est une vente en perspective. Une ville qu’on met à sac, c’est un mulet qui vient chargé d’un trésor… Mais qui pourra lui tenir rigueur ? C’était une collectionneuse. Ruines de familles, ventes forcées, fins de races, pillages de monastères, fuites de rois, voilà de quels titres se réclame toute galerie d’antiquaire. Une collection n’est qu’une chaumière faite des débris de cent palais.

Et la chaumière d’Isabelle d’Este, elle-même, a été détruite et dispersée. Un siècle ne s’était pas écoulé, depuis sa mort, que ses tableaux, assemblés avec tant de peine, étaient déjà vendus par le duc qui régnait alors sur Mantoue, Vincenzo II, au roi Charles Ier d’Angleterre. C’était les confier à un asile bien peu sûr : quelques années plus tard, la révolution éclatait en Angleterre, le Roi était décapité, ses collections vendues elles-mêmes, et les tableaux d’Isabelle d’Este dispersés dans toute l’Europe. Ce qui était resté à Mantoue d’objets précieux n’avait pas eu un sort plus heureux : en 1630, lors du sac de la ville par les lansquenets de Ferdinand II, presque tout avait été pillé, chargé dans des barques sur le Mincio et disparu, émietté, au hasard des rencontres. On en trouve aujourd’hui des fragmens un peu partout : en France, en Allemagne, on Angleterre, surtout. Au fond de bien des châteaux du Royaume-Uni, il y a, sans doute, des restes de la Grotta, des portraits d’Isabelle d’Este ou de ses amis, sous les yeux de possesseurs qui les ignorent. Les restes de son fameux « service » sont dispersés dans des collections de Vienne et de Paris. Ses médailles sont à Vienne et dans des collections privées. Il n’y a qu’un endroit où on n’en trouve rien : c’est son palais à elle.