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désordre de l’occupation par les troupes françaises et le pillage, il retrouve un certain clavecin, une merveille, que Lorenzo da Pavia avait fait, quatre ans avant, pour sa s <rur Béatrice, et, à force d’adresse, elle finit par le tirer de là, et par le mettre dans sa collection. De même, après la chute et la fuite des Bentivogli devant Jules II, qui vient d’envahir Bologne, elle pense, tout de suite, à ce qu’elle pourra en recueillir. Elle apprend que le Pape a fait raser leur palais, nouvellement décoré par Francia, et que deux bustes de marbre de la plus grande valeur, le buste d’Antonia et celui de Faustina, ont disparu durant le pillage. L’affection, quelle porte à sa sœur, Lucrezia Bentivoglio, et à son beau-frère, ne lui fait pas perdre de vue les deux bustes. Elle reçoit les fugitifs à Mantoue, mais elle retrouve, par ses agens, la piste des chefs-d’œuvre, les rattrape et les met dans sa Grotta. De la sorte, les princes dépossédés n’avaient qu’à venir la voir pour jouir, à nouveau, de leurs richesses disparues.

Elle ne guette pas seulement la chute des trônes, mais aussi la mort des artistes. Dès que la nouvelle parvient à Mantoue que Giorgione a rendu le dernier soupir, elle remue tout Venise pour avoir un certain tableau de la Nuit que, dit-on, le peintre a laissé et qui est très beau. Niccolo da Corregio vient-il à mourir à Ferrare, incontinent elle écrit à son fils Gian Galeazzo pour avoir le manuscrit des œuvres de son père : des poèmes qu’il lui a dédiés, assure-t-elle, longtemps auparavant : « Votre père me l’a montré lors des noces du duc Alfonso avec sa première femme Anna Sforza ; nous étions dans la pièce au-dessus de la chapelle, dans la cour ; il m’a montré son livre en trois parties, contenant des Sonnets, Capitoli et Canzoni avec une épître dédiant chacune de ces parties à moi-même… » Après le sac de Rome, elle ne manque pas de profiter de la tempête pour recueillir quelques épaves. Elle en recueille tant et si bien, qu’on en charge tout un vaisseau, qui, d’ailleurs, sera pris par les pirates et ne rendra jamais ses trésors.

Généreuse et dévouée dans l’ordinaire de la vie, elle devient, lorsqu’il s’agit de ses collections, épineuse et jalouse. Elle ne veut pas que des regards trop nombreux s’y posent et les usent. Elle a un exemplaire des Strambotti et Capitoli du chanteur Seralino, composé pour elle. Louis Gonzague de Gazzuolo a grande envie de copier un capitolo fameux « sur le sommeil ; »