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peuvent pas être considérées comme définitivement prises, qu’il sera d’une politique prévoyante et sage, pour beaucoup de puissances européennes, de préparer des règlemens de comptes et des échanges où chacune des parties contractantes ait à trouver son profit. » Le reste du discours a pâli devant cette phrase que les journaux du monde entier ont reproduite en se demandant ce qu’elle signifiait, et comme le sens en est, en effet, très vague, la portée obscure, les intentions indistinctes, elle a fait naître, dans plus d’un endroit, des inquiétudes. Nous ne voulons rien exagérer ; cependant nous nous rappelons celle qui sest produite lorsque l’empereur Napoléon III, reproduisant une phrase de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, a parlé de la « politique des grandes agglomérations. » Il trouvait l’Europe mal faite et se proposait de la refaire dans des conditions plus normales, projet grandiose qui n’a porté bonheur ni à lui, ni à nous. À son tour, M. Caillaux trouve l’Afrique mal faite, et il invite les puissances à « préparer des règlemens de comptes et des échanges. » C’est un exercice dont nous sortons, et nous n’avons pas envie de le recommencer de sitôt : nous prions l’infatigable M. Caillaux de nous accorder au moins un temps de répit. Sa phrase fatidique montre qu’il n’est pas satisfait. Il n’est pas le seul à ne pas l’être, comme on vient de le voir. S’il a voulu désarmer chez nous les critiques en faisant entendre qu’il a d’autres projets et que les malfaçons dont on se plaint aujourd’hui seront corrigées dans un avenir prochain, il s’expose à trouver encore plus d’approbation de l’autre côté du Rhin que de celui-ci. Donc on remaniera l’Afrique ; l’Allemagne ne demande que cela. On peut être certain, en tout cas, qu’elle ne laissera pas cette politique se pratiquer sans prendre ses mesures pour y participer et ses précautions pour en profiter. Ses appétits connus sont de nature à inquiéter des puissances plus grandes qu’elle en Afrique, mais beaucoup plus petites en Europe. Il était naturel que la phrase malencontreuse de M. Caillaux produisit, par exemple, quelque émotion en Belgique où, déjà, on n’a pas vu sans appréhension les deux tentacules que la pieuvre germanique a poussés jusqu’au Congo et à l’Oubanghi. Nous savons bien que M. Caillaux n’a pas voulu dire tout ce qu’on peut tirer de ses paroles, mais pourquoi n’a-t-il pas été plus clair ? Des journaux auxquels il confie volontiers sa pensée ont expliqué qu’il s’agissait surtout de quelques échanges de territoire avec l’Angleterre, notre amie. Si des suggestions ont été faites dans ce sens, si même des négociations ont été entamées, ont-elles été poussées assez loin pour qu’on