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prolonger la lutte jusqu’au jour où les forces de l’envahisseur seraient épuisées.

Lorsque je regarde en arrière, aujourd’hui, avec tout ce que nous avons appris depuis lors, je persiste à attester que c’était là, vraiment, une solution politique praticable et fructueuse, la meilleure solution possible à cette date de janvier 1871... Et pareillement je persiste à penser, aujourd’hui comme alors, que le gouvernement anglais a failli à son devoir dans la grande crise qui, dès ce moment, a dominé toute la politique européenne. Vers le milieu de janvier 1871, le courant des sympathies anglaises s’était puissamment retourné en faveur de la France. Les représentans principaux du parti conservateur inclinaient à réclamer l’intervention anglaise ; l’armée et la marine aspiraient à se mettre en branle ; et tous les esprits politiques, parmi les ouvriers, désiraient ardemment qu’il leur fût permis de sauver de la destruction la jeune république. Dans un immense meeting des Trades Unionistes, organisé par nous le 10 janvier, un amendement en faveur de la non-intervention fut sifflé par la salle entière ; et les décisions de l’assemblée revêtirent le caractère le plus belliqueux. J’ai la conviction que, si la France avait pu continuer la guerre quelques mois de plus, la forte poussée des deux opinions conservatrice et militaire, combinées avec celle de la masse unanime des ouvriers, auraient contraint chez nous les ministres libéraux à sortir de leur attitude d’impuissance hésitante, soit pour agir vigoureusement ou pour se démettre... A mon sens, d’ailleurs, la conduite de Gladstone durant cette crise restera à jamais son « grand refus, » la faute impardonnable de toute sa vie.


J’ajouterai que la part considérable qu’a prise depuis lors M. Harrison à dissiper les vieilles préventions anglaises à l’endroit de la politique et du caractère national français, suffirait, à elle seule, pour justifier la simple et émouvante fierté avec laquelle le vieil apôtre positiviste se flatte de « n’avoir pas complètement échoué dans la tâche de sa vie. » Peu d’hommes ont eu plus de prise, en son temps, sur l’opinion politique et sociale de ses compatriotes ; peu d’hommes ont tiré de leur légitime influence un parti à la fois plus heureux et plus sage. Mais le fait est que, tout en habituant les Anglais à abandonner leur notion ancienne du « splendide isolement » de leur île, et tout en répandant parmi eux un idéal de « solidarité » qu’il avait lui-même puisé dans la doctrine de son maître Auguste Comte, il ne semble pas les avoir convertis à sa « religion » positiviste. Cette religion a beau posséder à Londres plusieurs temples, — dont M. Harrison ne parvient pas à nous cacher qu’ils se trouvent desservis et fréquentés par des « congrégations » plus ou moins ouvertement ennemies l’une de l’autre : — la plus nombreuse d’entre elles ne doit guère compter qu’un très petit nombre