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dances auxquelles obéissaient les sculpteurs de l’époque impériale. J’avouerai franchement que mes prédilections s’adressent à trois femmes de marbre réunies dans une même salle. L’une d’elles semble moderne par son attitude, moderne aussi par son style. Une autre, plus captivante encore, à mon goût, laisse percer une mélancolie, ou plutôt une tristesse intime qu’on n’a pas accoutumé de rencontrer parmi les créations de l’antiquité. Ce sont d’agréables spécimens de l’époque hellénistique.

Ainsi composé, le musée Allaoui est déjà riche en objets précieux ; il est destiné à prendre une importance plus grande encore lorsque les fouilles seront poursuivies méthodiquement sur tous les points du territoire tunisien. À ne considérer que les ressources pécuniaires dont il dispose, le service des Antiquités a fait des miracles, car le chapitre du budget qui le concerne est vraiment mesquin. On conçoit que l’administration s’intéresse d’abord aux chemins de fer et aux routes. Son devoir consiste évidemment à mettre en valeur les richesses latentes d’un pays qui fut tour à tour un grenier d’abondance et un désert, suivant que ses maîtres furent des Romains ou des Arabes. N’oublions pas toutefois que l’invasion des touristes dans une région y apporte un élément de prospérité que les économistes ne sauraient négliger, et pour que cette invasion se produise, il faut que le voyageur soit assuré de rencontrer un nombre suffisant d’attractions pour compenser la longueur et les frais du voyage. Le jour où la Tunisie aura mis en évidence ce qui reste des monumens du passé, la maison Cook organisera des expéditions régulières, comme elle en organise en Égypte. Les Anglais et les Américains accompliront le pèlerinage de Dougga, d’El Djem, de Sousse, de Kairouan et des oasis du Sud, comme ils accomplissent celui de Memphis et des cataractes du Nil. Ce jour-là, une manne d’or tombera sur la Régence ; les grands hôtels surgiront sur les points les plus divers, et toutes les industries qui ont pour objet l’exploitation des étrangers prendront un développement inattendu.

Kairouan, 6 avril.

Une ligne ferrée relie Tunis à Kairouan. C’est une des mailles du filet métallique qui, dans un avenir prochain, enserrera l’Afrique tout entière, l’ancien continent noir. Pour le moment, la vapeur supprime la distance sans avoir eu le temps