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monde chrétien tend à étreindre et à étouffer le monde musulman.

Mais le touriste, en quête d’impressions neuves et fortes, cherche l’autre Tunis, la vraie ; il n’éprouve de soulagement qu’après en avoir franchi la porte monumentale. Et, tout de suite, sans transition, il se trouve en plein Orient, dans cet Orient que nous connaissons d’enfance, d’après les Mille et une Nuits, l’Orient qui se révèle à travers les aventures fantastiques, les talismans et les génies ; l’Orient bariolé, épris de couleur et d’éclat, démocratique et religieux où, dans les foules familières et bavardes, passent des figures d’une gravité marmoréenne, où, dans les boutiques ouvertes à tout venant, les hommes travaillent accroupis, tout ensemble affairés et paresseux ; l’Orient où les femmes glissent comme des fantômes, poétiques parce qu’elles sont enveloppées de mystère. À peine a-t-on hasardé quelques pas dans les rues étroites, d’allure arbitraire, coupées d’arcs, de retraits et de saillies sans nombre, bordées de maisons basses, qu’on se sent dans un autre monde, fait de sentimens, d’idées et de préoccupations qui nous sont étrangers et nous semblent puérils parce que nous ne les partageons pas. Pour qui réfléchit, ce ne sont pas les burnous pistache, les gandouras pervenche, les turbans et les fez qui étonnent, mais le visage et l’allure de ceux qui les portent. Sur ces faces qui se nuancent de bistre, d’acajou ou d’encre de Chine, on déchiffre le rapprochement ou le mélange des races les plus diverses, depuis les rejetons de la noble souche blanche, jusqu’aux spécimens de la famille mélanienne. Dans ce coin d’Afrique tous les peuples qui ont fondé tour à tour des établissemens sur les rivages de la Méditerranée, se sont superposés, se sont confondus depuis les nomades jusqu’aux Phéniciens, aux Juifs, aux nègres du centre de l’Afrique, aux Grecs, aux Romains.

Comme dans toutes les cités du monde, il y a d’abord les quartiers aristocratiques. Du côté de Tourbet el Bey, les rues sont quasi désertes, bordées de constructions d’une éclatante blancheur. Des portes élégantes inscrites dans une ogive ou flanquées de colonnettes, de rares fenêtres munies de moucharabiés protecteurs, rompent la monotonie des murailles. L’entrée des maisons est quelquefois ouverte, mais, ainsi que dans les couvens, l’œil est bien vite arrêté par une solide barrière et l’intérieur reste impénétrable à la curiosité de l’étranger. Là se