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la Nature, certaines émotions qui n’ont rien de joué, si elles durent peu. Il les a exprimées assez brièvement, avec un art plus fin que fort, et qui n’annonce pas directement les traits de passion et de hauteur des Destinées, mais qui pourtant, une ou deux fois, arrive presque à la puissance.

Quoique Vigny n’eût pas, à proprement parler, le don du pittoresque, il n’a pas dédaigné de retracer des paysages. Dans Helena, en rajustant des bribes de Byron, il prétend rendre, sans les avoir vus, le ciel de la Grèce et la mer des Cyclades. Il a manqué de compromettre l’originalité réelle du poème d’Eloa en y introduisant quelques cartons probablement un peu anciens et dans lesquels il copiait en apprenti les procédés brillans de l’auteur du Génie du Christianisme ou les effets de clair de lune et de ciel vaporeux des scènes héroïques d’Ossian. Mais, au rebours de la plupart des écrivains romantiques, il évite la description ou, s’il l’aborde, il en tire parti pour mettre en lumière une idée. Dès ses premiers Poèmes, il semble avoir trouvé la formule qui présidera à la conception, à l’exécution de ses œuvres dites posthumes[1] :


Substituant partout aux choses le symbole.


Dans les Poèmes, l’image, par elle-même, se rencontre très rarement. Il est vrai qu’elle garde une simplicité et quelquefois une largeur qui rappellent les impressions de l’épopée primitive. C’est le soleil qui disparaît du ciel sans effacer, pendant quelques instans d’une suprême beauté,


Les larges traces d’or qu’il laisse dans les airs.


C’est la lune « au front pur, reine des nuits d’été » qui répand ses rayons d’argent sur « le gazon bleuâtre. » C’est la rosée « odorante » qui dans la nuit obscure, taciturne,


Pleut sur les orangers, les lilas et le thym.


Ce coloris n’est pas sans agrément : a-t-il beaucoup de nouveauté ? Les effets descriptifs qu’on vient de voir se retrouveraient tous chez Chateaubriand, mais avec une notation plus

  1. On étonne beaucoup d’hommes assez lettrés en leur disant qu’à deux ou trois exceptions près, les pièces du recueil des Destinées parurent dans la Revue des Deux Mondes, en 1843 et 1844.