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Germanie, ils s’empressèrent de prêter à l’adversaire redouté toutes les vertus dont ils déploraient chez eux-mêmes la perte ou le déclin. La peuplade demi-barbare devint pour leurs écrivains l’idéal d’un peuple fort. Le Japon est notre Germanie. Nous y localisons toutes les qualités qui nous manquent, ou dont nous voudrions raviver chez nous la ligueur et renouveler la sève. Le mal essentiel de notre société est l’individualisme qui désorganise et décompose, qui dissout les forces et laisse les bonnes volontés isolées et impuissantes. Le Japon nous offre l’exemple d’un pays où le dévouement à la patrie, l’abnégation de l’individu devant la race et la communauté, sont encore des sentimens vivaces. Nous le célébrons à ce titre et ne lui marchandons pas notre encens. Nous saluons en lui cette ardeur conquérante et ce zèle belliqueux, dont le contraste est si frappant avec notre pacifisme humanitaire. Nous admirons dans son cadre le respect des aïeux et le culte de la tradition que nous voudrions rappeler chez nous. Ainsi nous lui faisons honneur de tout ce qui nous fait défaut. — Ce phénomène moral ou ce cas littéraire est connu. Il est intéressant et peut-être utile, à la condition que nous ne soyons pas dupes de l’engouement qui le produit. Ne nous représentons pas comme aussi simples les questions de races, les plus complexes qui soient et les plus décevantes. Ne croyons pas que la « supériorité » émigré tout à coup d’un pays à un autre. Prenons pour ce qu’ils valent des parallèles d’où on omet tout ce qui ne va pas dans un certain sens et ne sert pas une certaine thèse. Le Français du XVIIIe siècle avait tort de dire avec mépris : « Peut-on être Persan ? » L’Européen du XXe siècle aurait tort de soupirer avec humilité et envie : « Si l’on pouvait être Japonais ! »

Le rôle de Tokeramo, qui est toute la pièce, est remarquablement joué par M, de Max ; les bizarreries de son geste, de son accent, de sa prononciation peuvent être mises sur le compte de l’exotisme et passer pour autant de japonaiseries : il reste qu’il donne au personnage une allure originale et vivante.


RENE DOUMIC.