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rencontrait, non pour elle, elle a beaucoup de courage, mais parce que, si on l’avait reconnue, le voyage du Roi aurait été ainsi interrompu comme le sien. Elle et Mme de Gourbillon prirent une autre route (tout ceci s’est passé dans la nuit du au du mois passé[1]. )

Je ne me souviens pas bien de la route qu’elle tint. Elle passa par Lille, où il y avait une garnison et une place forte et arriva heureusement à Mons où Monsieur vint la rejoindre, ayant aussi fait un bon voyage, mais pas si heureux qu’elle. A présent, ils sont à Bruxelles, avec le comte d’Artois et les princes de Condé.


Ce fut du moins une consolation pour la petite cour piémontaise que Madame eût pu réussir à s’évader du Luxembourg. Tandis que Monsieur s’éloignait avec d’Avaray par la route de Laon et Maubeuge, la comtesse de Provence avait gagné la frontière du Nord en passant par Douai et Orchies et s’était arrêtée à Bruxelles ; mais elle ne séjourna que peu de jours dans cette ville où, dans une lettre reçue le 25 juillet par le prince de Piémont, elle se plaint, non seulement « qu’elle n’a pas le sou où elle est, » mais qu’on « la laisse mourir de faim. »

Intelligente et adroite, d’un jugement sûr et d’un esprit avisé, la comtesse de Provence détruisait l’effet de ses brillantes qualités par une humeur fantasque et bizarre, maladif effet d’une santé délabrée. Torturée par une maladie nerveuse, en proie à des sortes de crises douloureuses et répétées, Madame s’était vue atteinte d’une neurasthénie qui lui faisait rechercher l’isolement et la solitude. Sans doute l’écroulement de ses espérances n’avait pas été étranger à cette transformation, car, pendant les premières années de son mariage, elle avait travaillé activement à établir l’influence d’un parti savoisien qu’on voulait opposer au parti autrichien. La naissance d’un Dauphin, en lui barrant l’accès du trône, l’avait fait renoncer définitivement à la politique. Ses goûts étaient trop différens de ceux de son mari, épris de littérature et de belles-lettres, pour que l’intimité créée par le mariage ait pu entre eux deux demeurer longtemps durable et la perpétuelle présence de Mme de Balbi n’avait pas contribué à resserrer les liens d’un ménage si peu assorti[2]. La princesse vivait donc le moins possible à Versailles et sa vie s’écoulait le plus souvent dans sa délicieuse maison de Montreuil où elle pouvait s’adonner à son gré à des occupations champêtres. L’exil

  1. En blanc dans le manuscrit.
  2. Voyez Anne de Caumont-la Force comtesse de Balbi, par le vicomte de Reiset. Paris, Emile-Paul.