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ce que la princesse (Clotilde) le lui eut dit. Alors elle se tourna, lui en demanda mille pardons et voulut lui baiser la main. Madame Victoire descendit ensuite, et Madame d’Artois arriva aussi un peu après, à laquelle j’ai donné la main en montant l’escalier.

Nous sommes allés tous à l’appartement de la Reine.

Madame Adélaïde est un peu au-dessus de la moyenne taille, on dit qu’elle a été très jolie, mais pour à présent, elle est affreuse : elle a les yeux hors de la tête, les lèvres fort grosses, le teint gris et l’air fort rude et méchant. Elle avait une robe brune avec un fichu noir noué par derrière à la manière des jeunes femmes ; elle était coiffée comme Madame Félicité ; elle a cinquante-neuf ans.

Madame Victoire est un peu plus grande, fort grosse, un air bon, de beaux yeux, plus blonde, et parait avoir un bon caractère ; elle est habillée à peu près comme sa sœur, mais elle avait un grand bonnet et un mantelet noir ; elle est âgée de près de cinquante-huit ans. Avec elles, il y a M. de Chatellux qui est chevalier d’honneur de Madame Adélaïde, Mme de Narbonne, dame d’honneur qui est vieille et boiteuse, et Mme de Chatellux, qui est dame d’honneur de Madame Victoire...

Quand nous fûmes arrivés en haut, on offrit aux princesses de s’asseoir, mais elles remercièrent et restèrent toujours debout, soit que ce fût leur malheur qui les rendît ainsi faites, soit que ce fût un effet de leur timidité naturelle, elles parlèrent peu et parurent fort embarrassées. A sept heures et demie, nous nous sommes retirés tous, et les tantes françaises allèrent se coucher[1].

14 mars. — Le lundi 14, les d’Artois et les deux princesses vinrent dîner. J’ai trouvé Madame Adélaïde plus petite et Madame Victoire plus grosse qu’elles ne m’avaient paru hier, mais toujours aussi froides et aussi embarrassées. A dîner, nous étions placés ainsi : le Roi au milieu, à sa droite la duchesse d’Aoste, Montferrat, Maurienne, moi, d’Angoulême, Madame Adélaïde, la princesse. Madame Victoire, la comtesse d’Artois, Piémont, le comte d’Artois, le duc de Chablais, la duchesse de Chablais, Madame Félicité et Berry à côté du Roi... Elles logèrent à la maison Birago où nous leur fîmes visite.

21 mars. — Nous apprenons que la reine d’Espagne est accouchée d’une enfant à laquelle on a donné les noms de Marie-Thérèse avec cinquante-cinq autres, parmi lesquels il y a les âmes du purgatoire.

Vendredi 25. — Le comte d’Artois vint dîner avec Madame Adélaïde et Madame Victoire, laquelle est guérie. Elles partent demain... Le soir. Madame Victoire ne parut plus ; aussi nous ne pûmes lui faire nos complimens. Madame Adélaïde vint, elle prit congé de la compagnie, remercia le Roi de toutes les bontés qu’il avait eues pour elles ; et, après nous avoir embrassés tous, elle se retira.

Samedi 26. — Les princesses de France sont parties ce matin, à sept

  1. « Adélaïde est horrible, Victoire grande et grosse, elles regardaient tout le monde d’un air embarrassé. » (Journal du comte de Maurienne.)