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Schlegel, attiré par ce foyer religieux de la vie nationale, venait avec sa femme de se faire baptiser catholique dans la cathédrale de Cologne, et Schelling prenait la même voie. Tieck puisait au « Minnegesang » toutes ses inspirations et Görres faisait écouter aux étudians de Munich son cours de mystique chrétienne. Les docteurs Faust, avant de livrer au peuple les secrets de sagesse, venaient s’asseoir avec lui à la table rustique, boire avec lui au même verre, écouter sa chanson, interroger sa croyance, chercher au bord de ses yeux candides les notions premières d’une philosophie humaine qui s’imprégnait de science, de religion, de poésie et se mettait d’accord avec le battement des cloches qui rythme la joie universelle lorsqu’un peuple, délivré des affres de la mort et sentant passer l’espérance, s’écrie : « Le Seigneur est ressuscité ! »

Ce qui était possible et innocent dans cette Allemagne qu’il parcourait en tous sens, était-il donc impossible en France et coupable ? Qu’avait-il rêvé d’autre ? Pourquoi était-il puni et errait-il comme un banni, ému, et attristé de ne rencontrer qu’en dehors d’elles les sympathies que ses deux mères : son Église et sa patrie, semblaient lui refuser, « Hélas, écrivait-il, je ne suis pas le Pilgrim d’Amor du poète : tous ces artistes aiment, sont heureux et tranquilles, tous jouissent du présent et travaillent pour l’avenir. Et moi, je n’ai qu’une vie manquée et une solitude humiliante. » Il pensait à Lamennais ; il se disait qu’ici peut-être cet ami des petits, cet éducateur du peuple n’aurait pas été méconnu, ni condamné. Depuis le jour où il l’avait, en pleurant, embrassé sur la route de Saint-Pierre de Plesguen, combien de fois son cœur s’était tourné vers lui avec regret ! L’absence faisait son œuvre, le souvenir de leur dernier dissentiment s’effaçait. Lamennais disait au voyageur : « Reviens, reviens près de moi qui t’aime. » Il lui répétait au sujet de sa préface : « Jamais tu n’as rien écrit de plus beau. » Il lui détaillait avec ravissement le charme de sa retraite, le chant des oiseaux, des grillons, les aspects familiers de tous les êtres de cette Chesnaie dont le nom seul réveillait tant de souvenirs tendres. Montalembert répondait tristement : « Cette chère solitude est sans cesse chère à mon cœur. Bien des fois par jour je me transporte par la pensée auprès de vous. Je vous vois à votre bureau, parcourant vos bois, errant dans le chemin creux ou le long du lac charmant. Je voudrais être auprès de