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révolte encore lointaine, mais pressentie. « Je crois, écrivait-il, que lorsqu’un dévouement n’est pas complet, il est nul. » Et il invitait ses amis de Rome, Rio et le charmant Albert de la Ferronays à faire comme lui. Les trois jeunes gens partageaient le foyer du maître, ses lectures, ses veillées. Veillées mêlées d’angoisse. Montalembert sentait une ombre passer sur son âme lorsqu’il lisait tout haut les stances dantesques et qu’il saisissait dans les yeux de Lamennais l’éclair du regard, quand l’orageux Florentin exhale sa plainte et voue Boniface VIII à son enfer. Rien toutefois ne décourageait encore son dévouement. « Je me suis donné à M. de Lamennais, mon maître, mon père, écrivait-il, jusqu’à son retour. Tu sais combien j’aime M. Féli et chaque jour j’ai appris à l’aimer davantage à cause de l’immense tendresse de son cœur. » Détourner les coups, il ne le pouvait pas, mais il s’ingéniait à apaiser la fièvre d’impatience, à donner à Lamennais ce bien-être de l’affection qui lui faisait dire : « Que ton affection m’est bonne et douce, mon Charles bien-aimé ! Que mon cœur s’appuie délicieusement sur ton cœur. Oh ! comment te rendrai-je, cher enfant, le bien que tu me fais ! » Montalembert veillait comme on veille au chevet d’un malade. Il vit venir avec effroi cette encyclique aux évêques polonais dans laquelle Grégoire XVI blâmait l’insurrection de 1830, « œuvre des fabricateurs de ruse et de mensonge qui, dans notre âge malheureux, élèvent la tête contre la puissance légitime des princes. » En blâmant les révoltés de la Pologne, le Pape atteignait les écrivains de l’Avenir, et le trait leur était d’autant plus sensible qu’il leur revenait ayant frappé d’abord cette terre d’infortune où des milliers de créatures gémissantes avaient entendu l’oracle pontifical leur commander, pour éviter de plus grands maux, de plier sous le joug que Lamennais les avait, au contraire, exhortées à briser. La coupe d’amertume s’emplissait. Lamennais quitta Rome et, feignant avec cette espèce de ruse qui fut plus tard le signe de sa folie, de ne pas comprendre l’avertissement si net de l’encyclique, il annonça qu’il rentrait en France pour reprendre la publication de l’Avenir.

Ils remontèrent l’Italie, tristes pèlerins, le plus jeune affligé surtout de la sombre humeur de son aîné. Pour lui, captivé par le charme du voyage, il eût volontiers oublié Rome et ce blâme tacite qui pesait sur eux. Joies de chrétien, joies de poète, joies d’artiste, il goûtait à tout avec l’ivresse de son âge. Il ouvrait