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compte de pareils sentimens et n’en ont pas tenu compte en effet. On aurait pu croire cependant qu’une expédition destinée à donner à l’Italie des satisfactions en Afrique, et à l’y occuper longtemps, n’était pas pour déplaire à l’Autriche. Mais l’Italie, dès le début, a commis une imprudence en tirant dans la mer Adriatique des coups de canon bien inutiles, puisqu’ils avaient simplement pour objet de couler ou de capturer des torpilleurs turcs et un malheureux bateau qui, ignorant la déclaration de guerre, a cru d’abord qu’on le saluait poliment. Le gouvernement italien avait dit bien haut qu’il ne ferait rien qui fût de nature à troubler l’équilibre balkanique, si instable, si fragile, si incertain ; le canon de Preveza donnait un démenti à ces assurances ; il était inopportun et inquiétant. Les puissances qui, de bon ou de mauvais gré, avaient pris leur parti d’une expédition italienne circonscrite à la Tripolitaine entendaient que les éclats ne s’en fissent pas entendre, ni les contre-coups sentir dans le reste de la Méditerranée. A persévérer dans la voie où elle semblait s’être engagée, l’Italie aurait rencontré vite des oppositions. Aussi s’est-elle empressée de renouveler les assurances premières qu’elle avait données et auxquelles il n’y a pas lieu de douter qu’elle se conformera strictement. Elle a d’ailleurs autant d’intérêt que personne, sinon plus, à la tranquillité des Balkans, car, si cette tranquillité était troublée en ce moment, il lui serait difficile d’agir en même temps en Albanie et dans la Tripolitaine, et qui sait même si la Porte ne trouverait pas alors les concours qui lui font défaut aujourd’hui ? Un vieux proverbe latin dit : Age quod agis, fais ce que tu fais, ne t’en laisse pas distraire par autre chose, sois tout entier à ton affaire. L’Italie s’en inspirera.

Mais enfin, quand et comment se terminera la guerre, ou la pseudo-guerre turco-italienne ? Nul ne peut le dire avec certitude : il est pourtant probable que tout le monde s’en préoccupe, et la France ne manquera pas, lorsque l’heure en sera venue, au rôle qui lui appartient comme amie de l’Italie et de la Turquie. L’heure opportune sera celle où ces deux puissances elles-mêmes désireront en finir, l’une parce qu’elle aura réalisé son projet, l’autre parce que, en présence du fait accompli, elle comprendra que le mieux pour elle, en s’inclinant devant une fatalité inexorable, est d’en limiter les pénibles conséquences. L’Italie est maîtresse de deux ou de trois forts, de deux ou de trois ports sur la côte ; ce n’est pas assez, elle entend prendre possession du pays lui-même au moyen d’un corps de débarquement qui s’élèvera, dit-on, à une cinquantaine de mille hommes ; elle déclare