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canon devaient réduire, mais dans l’intérieur du pays, où les troupes turques actuellement en retraite encadreraient en grand nombre les Arabes fanatisés et prendraient ensuite l’offensive contre les Italiens. Cela serait possible en effet si les Turcs et les Arabes pouvaient recevoir du dehors des armes et des munitions, mais comment le pourraient-ils ? Leur nombre donc, nous parlons de celui des soldats utilisables, est subordonné au chiffre de fusils dont ils disposent dès maintenant et ce chiffre est limité. Les Italiens, au contraire, disposant de la mer, sont maîtres d’envoyer en Tripolitaine tous les hommes et toutes les armes et munitions nécessaires pour assurer l’accomplissement de leur dessein. Ils trouveront des difficultés sans doute, mais ils ont les moyens de les vaincre. L’œuvre leur demandera plus de temps, leur donnera plus de peine, leur coûtera plus d’argent qu’on ne paraît le croire en ce moment ; elle n’est pas près d’être terminée, mais elle se terminera à leur avantage. Les Turcs s’en rendent bien compte, puisqu’ils parlent d’employer des armes d’un autre genre, c’est-à-dire de boycotter les marchandises ennemies et même d’expulser tous les Italiens de l’Empire ottoman. De pareilles mesures, à supposer qu’elles soient pleinement réalisables, ce qui est douteux, feraient évidemment du mal à l’Italie, mais elles n’en feraient guère moins à la Turquie : elles pourraient de plus lui aliéner beaucoup de sympathies et la mettre en conflit avec l’Allemagne qui, ayant accepté la protection des sujets italiens, s’acquittera certainement en conscience de la charge qu’elle a assumée. Il est question, en outre, d’enlever aux Italiens le bénéfice des capitulations, ce qui leur sera sans doute assez indifférent si on les expulse, et aura en outre l’inconvénient de soulever de délicates questions de droit public qui intéressent tout le monde chrétien. Mais l’inconvénient principal des mesures de ce genre serait d’irriter les Italiens sans les désarmer et de rendre la paix finale plus onéreuse pour la Turquie. Que la Turquie se défende par les armes, dans la Tripolitaine ou ailleurs, rien de mieux ; dans tous les pays où on estime le courage et le patriotisme, on sera sensible à ses efforts ; mais le boycottage des] marchandises, mais l’expulsion en masse des sujets ennemis auraient quelque chose de barbare dont la brutalité déplairait.

Eh quoi ! dira-t-on, tous les moyens ne sont-ils pas bons à la guerre quand ils sont efficaces ? La question est précisément de savoir si ceux-là le seraient. Ils n’arrêteraient pas l’élan que les Italiens se sont donné à eux-mêmes et qui ne se reposera que dans une victoire