Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/960

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut y trouver que des déboires et de l’ingratitude. Faire la guerre à l’Italie est difficile, impossible sans doute ; faire la paix avec elle est une épreuve redoutable pour les hommes d’État, quels qu’ils soient, qui en accepteront la responsabilité. Aussi Saïd pacha a-t-il eu beau- coup de peine à constituer un ministère. Kiamil, à qui il a demandé son concours, n’a pas cru devoir le lui donner. Il comptait, comme ministre des Affaires étrangères, sur Rechid pacha, ambassadeur à Vienne, qui a d’abord accepté le portefeuille, puis l’a refusé. Saïd a eu beaucoup de peine à trouver un remplaçant. Tout le ministère est dans sa personne : ses collaborateurs sont des hommes effacés, qui ne lui apportent aucune force et dont le choix, qui s’imposait sans doute faute de mieux, est au contraire une manifestation de faiblesse au cours d’une crise aussi grave. Que faire ? La Porte s’est adressée à tout le monde pour demander soit une intervention, soit une médiation. Le jour viendra sans doute où une médiation pourra être utilement introduite entre les deux belligérans, qu’on hésite à appeler ainsi ; mais une initiative de ce genre semble encore prématurée, parce que l’Italie ne l’accepterait pas avant d’avoir pris une possession plus complète, ou du moins plus étendue de la Tripolitaine, et que la Porte, quelque raisonnable qu’elle ait été jusqu’ici, se refuserait sans doute à faire si vite les sacrifices nécessaires. Le sentiment public est, en effet, violemment excité en Turquie ; à l’affolement du premier jour a succédé, ou paraît avoir succédé une ferme résolution de résistance ; mais où cette résistance peut-elle se produire et quelle forme peut-elle prendre ? L’événement le montrera : nous ne pouvons que reproduire ici ce qu’on dit en Turquie en attendant que les faits parlent eux-mêmes.

Le gouvernement et les personnes qui s’y rattachent annoncent qu’il sera sûrement renversé, balayé, s’il fait une paix contraire au sentiment national, et rien effectivement n’est plus probable ; mais la question est de savoir si, après que le gouvernement aura été sacrifié comme victime expiatoire, la paix qu’il aura consentie ne sera pas acceptée comme un mal devenu irréparable. S’il en est ainsi, Saïd pacha aura rendu un réel service à son pays, parce qu’il faut qu’une paix soit faite à un moment quelconque et qu’elle ne peut être qu’infiniment douloureuse pour la Turquie. Pour échapper à la fatalité, il faudrait que la Turquie pût résister. Le peut-elle ? Elle le croit, elle le dit du moins. A entendre quelques-uns de ses représentai autorisés, elle est en mesure de le faire même dans la Tripolitaine, non pas dans les forts de la côte que quelques coups de